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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 00:00

HLM: la Fondation Abbé Pierre dénonce une usine à ghettos

Par Michaël Hajdenberg

Mediapart.fr

 

Faut-il destiner les HLM aux plus pauvres? Quelle «place» réserver aux plus modestes dans l'espace urbain? Le débat, engagé au Sénat en octobre dernier, se poursuit cette semaine à l'Assemblée nationale avec l'examen du projet de loi Boutin. L'opposition fait valoir que sortir les ménages les moins modestes des HLM revient à ghettoïser des quartiers entiers. Le gouvernement, estime, lui, que les plus pauvres n'ayant nulle part où se loger, il faut bien leur faire de la place dans l'habitat social.

 

En réalité, et sans que ce choix n'ait été jusqu'à présent assumé, le parc social des zones urbaines sensibles connaît déjà depuis plusieurs années une forte paupérisation, comme le montre le très fourni rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, publié aujourd'hui. Ce rapport ne prétend pas révéler. Seulement compiler et analyser toutes les données disponibles, généralement éparpillées.

 

Que montre-t-il? Les Zones urbaines sensibles (ZUS) accueillent déjà 27% de ménages pauvres, soit trois fois plus que le reste de l'espace urbain. Le taux de chômage y est deux fois plus élevé que dans l'ensemble de la France (17,9% en 2007). Surtout, ces ménages n'ont pas de perspective. Si la mobilité est faible dans l'ensemble du parc HLM, elle l'est encore plus dans ces quartiers, et toujours plus pour les plus pauvres (de 12% en 1999 à 9,7% en 2005). Le programme de rénovation urbaine n'y a rien changé: les habitants sont restés dans leur quartier.

 

Cette très faible mobilité résidentielle touche particulièrement les ménages issus de l'immigration, qui souffrent de l'insuffisance criante de logements très sociaux ainsi que de la faiblesse du nombre de grands logements, comme l'explique le haut-commissariat à l'intégration. En 2002, 32% des ménages immigrés étaient locataires du parc social (contre 17% pour l'ensemble des ménages). Par ailleurs, leurs enfants quittent nettement plus tard le foyer: 48% des enfants de ces familles, âgés de 20 à 34 ans, vivent encore chez leurs parents (deux fois plus que la moyenne). Enfin, 8% de ces familles sont en situation de suroccupation (contre 3% à l'échelle nationale).

"Parkings sociaux"

 

Le rapport de la Fondation Abbé Pierre conduit donc nécessairement à s'interroger sur les discriminations existant à l'égard de ces familles immigrées. Leurs délais d'attente pour un logement HLM sont sensiblement plus longs: 28% ont déposé leur demande depuis au moins trois ans, soit deux fois plus que la moyenne. Ils sont du coup plus souvent découragés pour renouveler leur demande (27% contre 15%), ce qui conduit le Haut commissariat à l'intégration à parler de «discriminations systémiques».

 

Pour la Fondation Abbé Pierre, «tout concourt à organiser l'accès de ménages immigrés à des types de logements déterminés (grands logements à faibles loyers) dans les quartiers sensibles et à rendre difficile leur accès au logement social dans d'autres quartiers.»

 

De façon plus générale, le logement social dans ces quartiers ne constitue plus une simple étape dans un parcours résidentiel. Car s'il y a toujours eu des ménages en difficulté dans les quartiers sensibles, ce qui change aujourd'hui, «c'est leur proportion et l'acuité de leurs difficultés».

 

Quelques chiffres montrent encore la spécificité de la population de ces quartiers: On peut y compter jusqu'à 48% de moins de 20 ans. 30% des familles avec enfants de moins de 25 ans sont monoparentales (contre 17% au plan national). 25% des habitants de HLM ont aujourd'hui plus de 65 ans et plus de 10% ont plus de 75 ans.

 

C'est cet ensemble qui fait parler à la Fondation de «parkings sociaux, c'est à dire des lieux que l'on ne destine à rien d'autre qu'à contenir des populations qui apparaissent indésirables ailleurs». La Fondation insiste sur les conséquences, pour l'essentiel déjà bien connues, de cette «assignation à résidence»: emplois en berne, délit d'adresse, dépréciation de soi, repli sur la sphère domestique, etc.

 

Mais le plus intéressant ou le plus inquiétant réside dans les perspectives à venir par la mise en œuvre d'une loi soutenue par la Fondation Abbé Pierre: la loi sur le droit au logement opposable (DALO), dont les modes d'application posent problème. En effet, si le droit au logement et l'objectif de mixité sociale sont apparus à peu près simultanément au début des années 1990, les deux semblent aujourd'hui contradictoires. Comment les conjuguer? Pour reprendre un exemple cité précédemment, l'objectif de mixité justifie-t-il de faire attendre certaines familles immigrées pendant de très nombreuses années, et à les cantonner pendant ce temps-là dans un parc privé dégradé voire insalubre?

Un droit au logement "dévoyé"

 

La tension va s'accroître. En effet, la loi DALO donne la priorité absolue pour accéder aux HLM à des publics en grande difficulté. Avec le risque de se retrouver demain avec des immeubles abritant uniquement des familles monoparentales, des jeunes sans attaches familiales ou des femmes victimes de violences conjugales.

 

Les logements «réquisitionnés» par le Dalo sont en effet ceux qui appartiennent au contingent des préfectures (et non le contingent des mairies ou des organismes HLM). Or les appartements dépendant de la préfecture sont hyper-représentés dans les ZUS. Du coup, Claude Dillain, maire de Clichy-sous-Bois, s'inquiète fortement: «La mixité sociale est impossible si l'Etat continue de renforcer la logique de ghetto dans l'attribution des logements.»

 

Dans ces conditions selon la fondation, vu l'insuffisance et l'inégale répartition de l'offre locative sociale, le droit au logement ne peut être que «minoré», voire «dévoyé». La fondation regrette que le programme de 30.000 logements sociaux lancé par Nicolas Sarkozy pour secourir la promotion immobilière comporte plus de 50% de PLS, c'est-à-dire les logements sociaux qui coûtent le moins cher à l'Etat, et qui sont destinés aux plus riches parmi les modestes. Elle regrette également que l'article 55 de la loi SRU (qui oblige les communes à disposer de 20% de logements sociaux) ne soit pas mieux respecté.

 

Car tant qu'il n'y aura «pas d'investissements massifs dans ces quartiers» et tant qu'on ne redonnera pas «à ceux qui le souhaitent les moyens de quitter le quartier», le droit au logement et la mixité sociale ne pourront rester que deux idéaux contradictoires.

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