Des jeunes couples obligés de vivre séparément, des divorcés contraints de cohabiter avec leurs ex-conjoints, des pères séparés qui ne peuvent accueillir leurs enfants... Dans son rapport annuel, publié vendredi 1er février, la Fondation Abbé-Pierre s'est intéressée aux liens entre situation familiale et situation de logement et à leur interaction.
LE LOGEMENT PÈSE DE PLUS EN PLUS LOURD SUR LES PROJETS DE VIE
Premier constat, les conditions de résidence pèsent de plus en plus lourdement sur les projets de vie. "L'impossibilité de se procurer un logement adapté empêche notamment nombre de jeunes couples de s'installer", estime l'association caritative. Les caisses d'allocations familiales dénombreraient de plus en plus de cas de personnes déclarant vivre en couple bien qu'elles ne partagent pas le même logement que leur conjoint.
La cherté de l'immobilier influencerait aussi le nombre d'enfants par couple. Selon une enquête du Crédoc, citée par le rapport de la Fondation, les couples seraient moins enclins à faire des enfants. Ainsi, chez les accédants à la propriété, la proportion de familles nombreuses est passée de 29 % en 1995 à 17 % aujourd'hui. Dans les grandes agglomérations, la tension sur le marché immobilier est telle qu'elle conduirait même certains couples à renoncer à avoir une descendance, au moins temporairement.
Fonctionnant comme une véritable "centrifugeuse" qui sélectionne les candidats les plus solvables, et refoule les autres, le marché du logement ralentit aussi l'autonomisation des membres de la famille. Les jeunes adultes en début de carrière, mais aussi de plus en plus d'"accidentés de la vie", d'âge plus avancé ou même d'âge mûr se retrouvent à devoir retourner vivre chez leurs parents ou leurs enfants. Séparation, perte d'emploi, maladie... sont souvent fatales à l'accès ou au maintien dans un logement.
LA DÉTÉRIORATION DES LIENS FAMILIAUX FRAGILISE FACE AU LOGEMENT
Deuxième constat : les transformations de la famille agrandissent le cercle des ménages exposés au mal-logement. Les familles monoparentales et les isolés (à la suite d'une séparation ou par choix) se retrouvent au premier plan des personnes en difficulté de logement. Ainsi, les personnes qui sollicitent la plate-forme téléphonique Allo prévention expulsion, de la Fondation Abbé-Pierre, sont à 39 % des personnes isolées et à 30% des familles monoparentales.
Lors d'une séparation, les conditions de logement de l'un ou l'autre des membres du couple se dégradent souvent. En cas de rupture d'un couple avec enfants, le maintien dans le domicile conjugal revient généralement à la mère, qui obtient souvent la garde des enfants. Les pères "non gardiens" se retrouvent ainsi en grande difficulté, hébergés chez des amis ou des parents, ou parfois à l'hôtel. "A terme, les situations temporaires trouvées par les pères s'épuisent et peuvent déboucher sur un parcours d'errance", analyse la Fondation Abbé-Pierre.
Dans ces conditions, l'exercice de la parentalité et la qualité des liens avec les enfants se détériorent souvent. "Les ménages se trouvent en fait dans un cercle vicieux où toute évolution sur l'un des plans (la famille ou le logement) représente désormais un risque sur l'autre plan", estime la Fondation.
Or, déplore l'association caritative, l'Etat n'a pas intégré cette "mutation radicale de la structure familiale". "C'est encore trop souvent le modèle de la famille nucléaire traditionnelle (un couple, un homme et une femme mariés, avec des enfants issus de leur union) qui sert de référence aux acteurs du logement."
Ainsi, le secteur de l'hébergement a-t-il été conçu pour les personnes isolées, alors que les familles à la rue, généralement une femme avec enfants, sont désormais majoritaires dans les demandeurs d'hébergement. De même, les bailleurs sociaux n'arrivent pas à gérer les situations de séparation. L'adéquation entre le type de logement occupé et la situation des familles n'est pas toujours assurée. Ce décalage avec les réalités familiales actuelles se retrouve aussi dans la politique d'aides personnelles au logement ainsi que dans l'offre de construction.
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