Depuis la bascule politique d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) passée des communistes à l’UDI en 2020, les tensions sont particulièrement vives au sein de l’office HLM, qui gère 8000 logements, et où les faits de violence se sont multipliés en 2022.
Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 20 janvier 2022. Il y a un an, des balles et des tags menaçant les gardiens de jambisation avaient été découverts sur des bureaux d'accueil de l'office HLM. DR
Un homme encagoulé et ganté, qui grimpe quelques marches d’escalier, pointe une arme et tire. La scène se serait déroulée le 19 septembre dernier sur le parking de l’office public de l’habitat (OPH) d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). La cible : Jean-Baptiste Paturet, qui en a pris la direction un an après la bascule de la ville – Karine Franclet (UDI) succédé à la communiste Meriem Derkaoui – lors des municipales de 2020. Ce lundi-là, à l’heure du déjeuner, l’arme était-elle chargée à blanc ? S’est-elle enrayée ?
L’agresseur présumé n’a jamais été appréhendé. Une plainte a été déposée et, selon nos informations, le directeur bénéficie désormais d’une protection policière obtenue par l’OPH auprès de l’Intérieur.
Cette scène reste le dernier épisode connu d’une série de menaces, de violence ou actes d’intimidations ayant suivi l’alternance dans la ville du nord de la capitale. Des tensions particulièrement palpables au sein de l’office HLM, qui loge environ 25 000 habitants – près d’un quart de la population de la commune.
Des gardiens visés, des salariés agressés
Les premiers faits remontent au 20 janvier 2022 : des inscriptions menaçant les gardiens de « jambisation » (des mutilations aux jambes, technique de punition ou d’avertissement parfois utilisée dans des règlements de comptes entre trafiquants) sont découvertes dans cinq loges. Une munition de calibre 9 mm est également laissée dans leur boîte aux lettres ou devant leur porte.
Fin janvier, un gardien est aussi apostrophé par deux hommes sur un scooter TMax : « Pourquoi tu bosses pour Paturet ? Il est là pour enc*** tout le monde », lui auraient-ils dit avant de lui remettre une nouvelle cartouche. Et de prévenir : « On connaît son itinéraire (…) dans une zone pavillonnaire. » Mi-février, cette menace est aussi postée sous les publications Facebook de plusieurs élus de la ville : « A tout (sic) les gardiens (…), si vous continuer (sic) a travailler, vous serez confrontés à de grandes représailles directement chez vous… »
Entre-temps, une salariée de l’office sera rouée de coups sous les yeux de sa petite fille, trois agents raconteront avoir été gazés et insultés alors qu’ils nettoyaient un parking. D’autres inscriptions, indiquant « Paturet tes mort » ou « OPH = MAFIA » sont aussi découvertes, et des salariés aspergés de lacrymogène à l’accueil du siège.
Deux suspects, dont un syndicaliste à l’OPH
Une information judiciaire a été ouverte et l’enquête confiée à la sûreté territoriale de la Seine-Saint-Denis. Un élément va permettre de l’orienter vers deux suspects : la découverte, le 14 février, d’un traqueur de type Airtag sur le véhicule du directeur général de l’OPH, balise permettant de suivre ses déplacements.
Selon nos informations, les investigations ont permis de relier le compte iCloud l’utilisant à celui d’I.E., un homme de 27 ans déjà condamné par la justice. Les enquêteurs ont également pu établir que ce même compte avait aussi été utilisé depuis Aubervilliers à l’adresse de T.A., représentant syndical à l’office et alors visé par une procédure de licenciement.
Le 2 mai, les deux hommes sont placés en garde à vue et des perquisitions effectuées à leur domicile. Face aux policiers, ils nient tout lien avec les faits survenus à l’OPH. Et se déclarent comme de simples connaissances, reliées par le frère de T.A., lui aussi employé de l’office. Concernant le traqueur, I.E. expliquera l’avoir posé afin de dérober le rétroviseur de la voiture après avoir abîmé un modèle équivalent appartenant à un ami. Et d’assurer qu’il ne savait que le véhicule était celui du directeur de l’OPH.
Il sera mis en examen à l’issue de sa garde à vue. Une décision qui n’a pas été prise à l’encontre de T.A., qui nie s’être connecté à la balise. Contacté, ce dernier réaffirme « ne rien avoir avec les faits qui ont été commis au sein de l’OPH. Ce n’est vraiment pas mon genre : cela fait huit ou neuf ans que j’y travaille et je n’ai jamais eu de problème. » L’employé de 37 ans se dit « consterné » par cette affaire, et se considère comme victime de « discrimination syndicale. » « Et quand les policiers m’ont placé en garde à vue, on m’a dit que c’était politique », affirme celui dont la compagne est, par ailleurs, conseillère municipale d’opposition à Aubervilliers.
Son entretien préalable à un licenciement a eu lieu quelques mois après sa garde à vue. Le 19 septembre 2022 en matinée, soit quelques heures avant le tir à blanc, ou enrayé, qu’aurait subi le directeur général. Ces faits n’ont toutefois pas de témoin connu, et la scène s’est déroulée en dehors du périmètre des caméras installées au siège de l’OPH.
Selon une source proche du dossier, le parquet de Bobigny n’a curieusement pas joint ces faits à l’information judiciaire dont les juges ont signifié en décembre dernier la fin des investigations. Les derniers faits font donc l’objet d’une enquête préliminaire. Contacté, le parquet n’a pas souhaité commenter cette surprenante stratégie judiciaire.
Un management autoritaire dénoncé en interne
De son côté, l’OPH avait organisé en février 2022 une journée de soutien aux salariés menacés. La direction avait alors expliqué « s’attaquer à un système mafieux » concernant des pratiques qui auraient eu cours à l’office. Évoquant des « primes indues » ou d’importantes commandes qui auraient été menées sans passer par des marchés publics. « Nos clients espèrent que la justice permettra d’établir les responsabilités dans ce dossier, où des responsables comme des salariés de l’OPH ont été menacés et violentés », réagit Me Margaux Mathieu, avocate de Jean-Baptiste Paturet et de la mairie d’Aubervilliers. Contactée, l’avocate de I.E., n’a pas souhaité faire de commentaire.
Ces multiples faits ne sont pas les seuls remous qu’aura vécu l’office HLM depuis dix-huit mois. « On ne compte plus les salariés qui se mettent à pleurer sur les parkings ou qui se rendent à la médecine du travail », confie un employé souhaitant rester anonyme. Au sein de l’office, le management « autoritaire » du directeur général est très contesté. Les licenciements de plusieurs cadres, « totalement injustes et réglés en dix minutes », selon cette même source, dénoncés aux prud’hommes. Le licenciement de T.A., salarié protégé, n’a, par ailleurs, pas été validé par l’inspection du travail.
Ces critiques, Jean-Baptiste Paturet les avait déjà essuyées lors de son passage à la tête de Metz Habitat, e Moselle, où il fut contraint à la démission. Une enquête préliminaire avait été ouverte en 2018 à son encontre pour harcèlement moral, avant d’être classée.