Comme attendu, la journée de mobilisation du 19 janvier contre le projet de réforme des retraites a été extrêmement suivie. Selon la CGT, « plus de deux millions » de personnes ont défilé dans toute la France et près de 400 000 personnes auraient participé au cortège parisien. Une centaine de rassemblements était organisée partout en France. Lors de la conférence de presse qui s’est tenue en amont du cortège à Paris, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT a fait savoir que la mobilisation était « au-delà de ce qu’on pensait ». Journée «très réussie», pour Frédéric Souillot, secrétaire général de FO«on est là pour peser et faire reculer» le gouvernement.
À midi, déjà pas mal de monde, place de la République, lieu de départ du cortège parisien, les montgolfières aux couleurs des syndicats se confondent presque avec les lanternes installées pour le Nouvel An chinois. Deux heures plus tard, la place est noire de monde. La foule est si compacte que des manifestants, pris dans un véritable goulot d’étranglement, doivent quitter le tracé officiel et empruntent un itinéraire bis.
Parmi eux, nombreux étaient ceux qui défilaient pour la première fois, témoignant de l’hostilité que la réforme suscite de la part de la population. Ainsi de Coralie, 45 ans, ingénieure en Recherche et développement : « Pour moi, travailler deux ans de plus, c’est supportable, mais je manifeste en solidarité avec toutes les personnes qui occupent des emplois pénibles et qui vont devoir travailler jusqu’à 64 ans. Ma sœur, aide soignante en EHPAD, a déjà des problèmes de dos à 40 ans, c’est impossible pour elle de travailler au-delà de 62 ans. » Première manifestation aussi pour Nicolas, 48 ans, attaché technique d’exploitation, prêt à s’engager dans une grève reconductible : « Il y de nombreuses pénibilités dans notre travail : port de charge, bruit, horaire en 3-8, travail de nuit… Aller au-delà de 62 ans, c’est impensable.» Une première également pour Pauline, 30 ans, ingénieur informatique, qui manifeste contre la réforme, et plus généralement contre la politique menée par le gouvernement : « Le gouvernement explique que l’on vit plus tard, mais l’espérance de vie en bonne santé n’évolue pas! On nous demande de faire des efforts, alors on pourrait prendre l’argent ailleurs, et ça n’est même pas discuté. C’est une réforme injuste! »
« Un vrai désastre social »
Injuste. C’est le qualificatif qui revient le plus fréquemment pour qualifier la réforme du gouvernement, rejetée par 68% des Français selon le dernier sondage IFOP. Le projet, tel que présenté d’Elisabeth Borne, prévoit de repousser l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, et d’accélérer l’augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour partir à taux plein. Entre autres dispositions, la réforme prévoit également de s’attaquer aux régimes spéciaux.
Parmi eux, celui des pompiers. Ils étaient très nombreux à battre le pavé à Paris ce jeudi pour s’opposer à une réforme qui va repousser leur départ à la retraite de deux années, alors que leur fin de carrière est particulièrement pénible : « On cumule tous les risques professionnels : on travaille la nuit, sur des autoroutes, on plonge dans la Seine, on travaille à 50 m de hauteur, sans parler des incendies… Cela abîme les corps, c’est dès 40 ans que l’on sent l’usure professionnelle. Les dix dernières années pour nous sont très dures, alors deux ans de plus, c’est impossible. »
La jeunesse était particulièrement bien représentée dans le cortège parisien. Parmi elle, Manon, 24 ans, ingénieure tout juste diplômée d’Agro-Paris-Tech, qui s’oppose à une société à deux vitesses où les efforts reposent systématiquement sur la classe laborieuse : « Ce gouvernement travaille avec et pour les riches. Les réformes menées sont de plus en plus aberrantes… Celle-ci est un vrai désastre social pour les plus précaires. Je voudrais une retraite à 60 ans et une semaine de quatre jours, ce serait plus écologique et meilleur socialement! »
Depuis Barcelone, en Espagne, Emmanuel Macron a fait savoir qu’il poursuivrait sa réforme « avec détermination. » Il risque de trouver sur son chemin une opposition tout aussi déterminée à obtenir gain de cause.