Dans quelques jours, à partir du 21 décembre, c’est la trêve hivernale. Une période pendant laquelle un propriétaire ne peut pas foutre dehors son locataire. Mais, des députés de La République en marche (LREM) estiment qu’il faut protéger les propriétaires contre ces mauvais payeurs de locataires pauvres. Or, non seulement c’est immoral mais en plus c’est économiquement très con car le « marché » du logement n’est pas un marché mais une rente. Explications.

EXCLU WEB

« De très nombreux intérimaires, des personnes en CDD ou travaillant au noir ont perdu leur emploi. On peut rogner sur plusieurs postes de dépense mais pas sur le logement ». Voilà ce qu’explique Bénédicte Thomas, responsable locale du Secours Catholique. Face à cette situation, qui prend une ampleur désastreuse, que font nos braves élus En Marche ? Ils s’inquiètent pour les… propriétaires, dont les revenus risquent de chuter, avec la multiplication des loyers impayés.

Tout pour les proprios !

Dans une tribune parue dans le Journal du Dimanche, 47 parlementaires de la majorité appellent à réviser la trêve hivernale. Estimant que les propriétaires qui louent leur logement sont insuffisamment « protégés », ils souhaitent que les expulsions soient facilitées, à la condition bien sûr qu’une offre d’hébergement d’urgence soit proposée, on n’est pas des bêtes, mais seulement durant la durée de la trêve hivernale, on est bien de droite, merci de vous en souvenir.

Le seul petit souci, comme l’explique Manuel Domergue, directeur des études à la fondation Abbé Pierre, dans la réalité, voilà ce qu’il se passe : « La plupart du temps, on héberge des personnes à l’hôtel dans une zone industrielle à 50 km de chez eux, on leur dit “vous avez une semaine à l’hôtel et dans une semaine débrouillez-vous vous êtes à la rue”  ». Qui en voudrait ? Sûrement pas les signataires de cette tribune.

Car la trêve hivernale, obtenue par l’abbé Pierre en 1956, c’est vraiment le minimum du minimum : ne pas mettre les gens dehors pendant l’hiver. Il y a eu 16 700 expulsions locatives en 2019, sans solution la plupart du temps, rappelle Manuel Domergue. Certes, la situation est difficile pour tout le monde, mais l’idée de « rééquilibrer » les rapports entre propriétaires et locataires, comme l’écrivent les signataires de la tribune, est odieuse. Car même si le locataire dispose de droits, c’est bien le propriétaire qui possède son logement !

Et les bailleurs sont plus riches que les locataires, même s’il existe évidemment des exceptions. De plus, rappelle Domergue, les impayés ne représentent que 2 % à 3 % des cas. Dans l’immense majorité des situations, les proprios encaissent leur loyer tranquillou. Et il existe déjà des solutions efficaces pour les protéger contre les impayés, connues de tous les proprios, comme la Garantie des loyers impayés.

Le marché du logement est un mythe

Surtout, on ne peut pas vouloir avoir les avantages de l’économie privée – percevoir des loyers versés par des gens moins chanceux que vous – et ne pas en accepter les risques – les loyers impayés.

En fait, dans les grandes villes au moins mais pas seulement, il est absurde de laisser les logements s’échanger sur un soi-disant « marché » entre particuliers privés. Car ce marché ne fonctionne pas du tout : sur un marché, un vrai, lorsque la demande est forte, les prix augmentent, ce qui incite les producteurs qui produisent plus. Cette augmentation de l’offre conduit, à terme, à faire redescendre le prix.

C’est ce qui s’est passé pour tous les biens qui sont dans nos maisons, machines à laver, aspirateurs ou même voitures, dont le prix, ramené au salaire minimum, a considérablement baissé au cours des dernières décennies, en raison de la production de masse. C’est aussi, pour prendre un autre exemple, ce qui va permettre la baisse du prix des fruits et légumes bio.

Mais elle est où, la production de masse de logements qui fait suite à l’explosion des loyers de ces dernières décennies ? Elle est nulle part. Et même la production tout court, c’est-à-dire la création de nouveaux logements, est très insuffisante.

Bien sûr, on pourrait faire plus, mais il y a une limite évidente : l’absence de place. Dans les centres-villes, on ne va pas empiler les immeubles les uns sur les autres, surtout que la densité de population est déjà trop élevée dans de nombreux endroits, entrainant bouchons, transports en commun bondés, pollution, énervement généralisé, etc.

Donc, sur ce sacré « marché du logement », la hausse de la demande a un seul effet : la hausse des prix. Cela a un nom en économie, connu depuis David Ricardo (1815), cela s’appelle une rente. Percevoir une rente, ce n’est pas être sur un marché mais être, par exemple, propriétaires terriens, que Ricardo détestait (et dont il a eu la peau). Ces mêmes rentiers que Keynes (1936) honnissait aussi, au point de vouloir les « euthanasier ». Preuve que la chose est tout sauf nouvelle.

Or cette rente exclut, depuis des décennies déjà, employées et ouvriers des centres-villes, et même des villes tout court. Le joli fonctionnement « libre » du « marché » crée des ghettos, le XVIe arrondissement de Paris d’un côté, La Courneuve de l’autre. On ne peut sous-estimer les effets dramatiques de ces évolutions sur l’état des services publics, l’accès à l’emploi, la violence, la santé de la population, qui s’effondrent dans les quartiers privés de mixité sociale. Le libre marché du logement est sans doute le pire problème économique et social de notre pays.

Jacques Littauer tenait beaucoup à ce que l’on mette cette vidéo. Pardon.
Une solution ? Quel intérêt ?

Et, vous savez quoi ? En janvier prochain, les loyers des HLM vont continuer à augmenter, alors que la pauvreté s’étend comme jamais dans notre pays. Noura, membre d’un collectif de locataires de Saint-Denis, le dit : « En mars, quand mon mari est tombé au chômage partiel, on a perdu 1000 euros avec les primes qu’il ne touchait plus. Dans le quartier, je sais que des gens ne peuvent pas payer plus… »

Mais ce n’est pas Noura qui préoccupe nos 47 élus, mais Jean-Édouard. Pourtant, il existe des solutions, rappelle Manuel Domergue, comme l’intervention d’un acteur tiers, public, dans le face-à-face entre le propriétaire bailleur et le locataire. Cela s’appelle la garantie universelle des loyers, et elle a été votée en 2014. Elle oblige le propriétaire à respecter ses obligations et, en contrepartie, elle l’indemnise en cas d’impayés du locataire. Puis se retourne contre le locataire, examine sa situation, et le force à payer si il ou elle le peut.

Simple, efficace. Mais vous savez quoi ? La garantie universelle des loyers n’a jamais été appliqué, mais au contraire purement et simplement abandonnée.