C’était un drôle de spectacle, mardi 2 avril au soir au Point d’Eau à Ostwald. Devant une salle comble, trois personnes ont parlé d’ondes, de cancers, de factures qui vont enfler, d’espionnage de masse, de lobbies tous puissants et de gaspillage d’argent public. Parce que c’est un peu tout ça un compteur d’électricité de nos jours… Le compteur communiquant Linky doit équiper l’ensemble des foyers français en 2021 et Bas-Rhinois en 2022.
Bénéficiant du soutien logistique de la municipalité d’Ostwald, le tout nouveau collectif anti-Linky de l’Eurométropole tenait là sa première réunion publique. La star du soir était Patrick Richardet, animateur d’une démarche d’opposition systématique à Colmar et auteur de Progrès ?, un ouvrage-réquisitoire contre ces compteurs communiquants.
Électricité de Strasbourg, pourtant invité, a choisi de ne pas participer. Du coup, sans contrepoint, Patrick Richardet n’a pas fait dans la dentelle. Déroulant à la vitesse de l’éclair une série de diapositives plus anxiogènes les unes que les autres, il a prévenu les participants, en majorité des personnes âgées, qu’ils allaient bientôt avoir mal à la tête, voire attraper une tumeur au cerveau, à cause des ondes émises par le nouveau compteur Linky :
« Les champs électromagnétiques, quand ils passent les défenses biologiques, entraînent la formation de cancers. Beaucoup de gens chez qui on a installé un compteur Linky ne dorment plus ou ont mal aux muscles. On voit apparaître des myélomes, des petites tumeurs cérébrales chez les enfants. Et avec la 5G, ce sera encore pire, une catastrophe humanitaire terrible qui va s’ajouter aux perturbateurs endocriniens et aux nanoparticules ! »
Effet garanti. Mais ce n’est pas tout, selon Patrick Richardet, Enedis (le nouveau nom d’EDF pour la gestion du réseau de distribution d’électricité) pourra connaître ce qu’il y a dans le frigo ou dans la machine à laver grâce à la connexion du compteur Linky à tous les appareils électroménagers :
« On pourra tout savoir, tous les appareils seront connectés et communiqueront entre eux. Le but est de vous faire habiter une “maison connectée” puis ensuite une “smart city”, c’est à dire une ville connectée. Le Linky, ce n’est que la première étape. Le but est d’instaurer une surveillance généralisée de la population, avec les téléphones portables et les drones, pour revendre les données. »
Patrick Richardet pointe que le Linky pourra être piraté, comme tout appareil électronique communiquant, et ne craint pas d’affirmer que des entreprises du Haut-Rhin se sont fait voler leur fichier clients depuis qu’elles ont installé un compteur connecté.
Murmures d’indignation dans la salle. Et comme personne ne semble avoir le début d’une compétence technique sur la communication entre les appareils, ça passe. Une question fuse : « mais comment ça se fait que l’État laisse faire ? » Réponse facile pour Patrick Richardet, pour qui l’État s’est couché devant le lobby d’Enedis, d’EDF ou plus largement du nucléaire…
Évidemment, tout est faux. Le compteur Linky ne génère pas plus d’ondes que n’importe quel appareil électrique. Le boitier utilise pour transmettre ses données les « courants porteurs en ligne, » une technologie filaire que semble avoir mal compris Patrick Richardet. En outre, aucune donnée autre que la courbe de charge n’est transmise à Enedis et les appareils connectés à internet ne peuvent pas communiquer avec le compteur Linky.
Pour autant, de nombreuses questions légitimes sont posées par les compteurs communicants. Sur la question des données collectées, la Commission nationale de l’information et des libertés (Cnil) a rappelé que les informations de charges ne pourraient être transmises à des tiers qu’avec le consentement exprès des abonnés. Comment fera Enedis pour assurer à ses abonnées que leurs consommation ne sera pas transmise ? Mystère.
Le plus gros reproche, c’est surtout que le bénéfice pour les usagers des compteurs Linky n’est pas prouvé… Ceci pose problème quand il s’agit de remplacer systématiquement des millions de compteurs qui fonctionnent très bien, surtout dans une perspective de développement durable. L’Allemagne a reculé devant ce gâchis organisé et opté pour un déploiement limité aux nouvelles installations ou aux plus gros consommateurs. En France, la Cour des comptes a fustigé le coût de cette opération dans un rapport très sévère : 5 milliards d’euros, actuellement avancés par Enedis mais que tous les abonnés paieront sur la durée, via un renchérissement des abonnements, à partir de 2021.
Ce débat public n’a jamais été posé, ni par l’État, ni par EDF… et c’est bien là tout le problème. En désertant le terrain, EDF a laissé la place aux théories complotistes et aux approximations les plus fantasques. Lors du débat de mardi soir, les élus d’Ostwald, Fabienne Baas, adjointe au maire chargée de l’environnement et Gilles Kapp, adjoint chargé des travaux communaux, se sont retrouvés dans une position délicate, entre une foule largement soupçonneuse et un fournisseur d’électricité absent… Plutôt gênant pour ce sujet qui concerne très directement tout le monde. Les élus d’Ostwald ont été contraints d’admettre qu’ils « n’avaient pas de position sur le Linky. On ne nous a pas demandé notre avis de toutes façons. »
Contacté, Électricité de Strasbourg Réseaux répond, par la voix de Frédéric Thiry, que l’entreprise n’a pas souhaité participer à cette réunion publique parce que le déploiement des compteurs Linky dans le Bas-Rhin n’est prévu qu’à l’horizon 2021 :
« Nous avons jusqu’à 2022 pour déployer les compteurs connectés, donc on a encore le temps d’en parler. En outre, Électricité de Strasbourg a la confiance des Alsaciens, nous n’aurons pas les mêmes problèmes qu’Enedis. »
Voire. À l’issue de la réunion, de nombreuses personnes se sont inscrites pour recevoir des « informations » en provenance du collectif anti-Linky. Et lors de la soirée, il ne s’est pas trouvé une seule personne pour défendre Électricité de Strasbourg… En revanche, plusieurs personnes parmi le public ont demandé comment s’opposer à la pose des compteurs…
La sécurité des installations est une autre question légitime évoquée mardi soir, mais hélas perdue dans le fatras de rumeurs. Le risque zéro est loin d’être assuré puisque pour remplacer les compteurs, Énedis fait appel à de nombreuses sociétés sous-traitantes, avec des prestations calibrées sur le nombre de compteurs raccordés. Du coup, les prestataires se pressent, prennent des raccourcis par rapport aux exigences de sécurité et les employés n’ont parfois pas les compétences ni les formations nécessaires…
Ces manquements ont légitimement contribué à forger l’inquiétude des abonnés et à nouveau, Énedis minimise en répondant que tous ses prestataires doivent « respecter son cahier des charges. » Quant au patron d’Énedis, Philippe Monloubou, il refuse de débattre de l’utilité du Linky mais il a trouvé utile de déclarer que son entreprise était devenue un opérateur de données.
Des millions d’argent public dépensés sans utilité démontrée pour les citoyens, des rumeurs sur la santé et sur le montant des futures factures propagées par des collectifs et des associations désormais bien organisés, des élus dépassés, un gestionnaire du réseau électrique qui se tient éloigné du débat public… Les ingrédients pour un déploiement serein du compteur Linky dans l’Eurométropole de Strasbourg sont réunis.
ALLER PLUS LOIN
Sur Que-Choisir.org : Le vrai et le faux au sujet du compteur Linky
Sur la Cour des comptes : le rapport sur l’installation des compteurs Linky (pdf)
Sur Canard PC Hardware : le dossier complet sur le Linky (pdf)