Le 21 décembre 1971, à 13 h 45, une explosion due au gaz souffle les cinq premiers étages de la tour B à la ZUP nord d’Argenteuil. Le bilan humain est très lourd : vingt victimes, des dizaines de blessés, dont certains gravement. Les pompiers, alertés dès que la fuite de gaz fut constatée, font preuve d’un courage exemplaire : deux d’entre eux y laissent la vie et plusieurs sont blessés ou brûlés.
Un extraordinaire courant de solidarité se manifeste dans la France entière en faveur des 52 familles qui habitaient les treize étages de la tour B. La municipalité communiste, dirigée par Victor Dupouy, a montré l’exemple en se mettant immédiatement au service des sinistrés, aidant, avec la Croix-Rouge, à prodiguer les premiers soins aux blessés et à leur hospitalisation, trouvant, avant la nuit, un toit pour toutes les familles. Quelques jours plus tard, celles-ci sont relogées dans la cité des Musiciens de la ZUP. Beaucoup trop souvent, lorsqu’une tragédie cause un nombre important de victimes, la fatalité est évoquée, l’instruction judiciaire s’éternise sans aboutir à la sanction des responsables. C’est ce que craignent les sinistrés de la tour B à l’époque. Rapidement, ils s’unissent dans une amicale et entament l’action pour atteindre un double objectif : que les responsables de la catastrophe soient connus, jugés et punis et que les victimes et leurs familles soient justement indemnisées. Pendant près de quarante mois, l’association multiplie les démarches et les actions : réunions publiques, rencontres avec les élus, informations à la presse, jusqu’à une manifestation devant le tribunal de Pontoise, en 1973, et une délégation au ministère de la Justice, le 6 décembre 1974, qui sont décisives pour l’ouverture du procès.
Aidés par le cabinet de Me Roland Weyl, avocat, soutenus par la municipalité et les députés Léon Feix (PCF) puis Robert Montdargent, les sinistrés de la tour B obtiennent gain de cause. Le procès des dirigeants de la société La Lucille, propriétaire et gestionnaire de la tour B, s’ouvre devant le tribunal de Pontoise 1 211 jours après la catastrophe, soit le 15 avril 1975. Son jugement est confirmé fin novembre de la même année par la cour d’appel de Paris. Deux dirigeants de La Lucille sont condamnés à des peines non amnistiables de treize et dix-huit mois de prison avec sursis et à des dommages et intérêts. Forts des appuis dont ils disposaient dans la sphère du pouvoir, ils espéraient bien qu’aucun procès n’ait lieu et qu’en cas contraire, ils seraient acquittés. Même si l’on eût pu souhaiter une peine plus forte, leur responsabilité dans la catastrophe est bel et bien établie et sanctionnée.
Les leçons de l’action des locataires, au lendemain de la catastrophe de la tour B, restent d’actualité ! Leur lutte a payé car elle était fondée, et c’est leur rassemblement qui leur a donné la force de mener l’action à son terme. La sécurité dans les immeubles collectifs reste un problème qui fait parfois la une des journaux. Si les fuites de gaz tragiques sont plutôt exceptionnelles, il est moins rare de voir des accidents dus à la vétusté des ascenseurs ou à des conditions de vie précaires imposées par des marchands de sommeil qui entassent leurs victimes dans des taudis. S’y ajoutent, dans le parc des logements sociaux ou privés, les conséquences de la faiblesse des revenus de nombreuses familles, privées du droit à l’énergie – eau, gaz, électricité – ou qui sont aussi menacées d’expulsion pour retard de paiement du loyer. Pour ces familles et pour l’ensemble des locataires victimes du mal-logement (la Fondation Abbé-Pierre en dénombre 10 millions, dont 3,5 vivant dans des conditions très difficiles), à l’image de ce que permit l’action des sinistrés de gagner, il y a quarante ans, les enseignements de cette lutte restent toujours valables : s’unir, s’organiser et mener inlassablement l’action.