«Ils se cachent parfois dans des cages d’escalier» : de plus en plus de femmes et d’enfants à la rue
Alors que les maraudes se multiplient en cette période de grand froid, les associations de lutte contre la précarité s’inquiètent de la hausse du nombre de familles sans toit, notamment les mères seules avec bébé.
Selon la Fédération des acteurs de la solidarité, il y aurait en France 6000 familles et 2000 enfants à la rue. LP/Yann Foreix
C’est un phénomène nouveau, observé depuis le début de l’hiver. Avec les températures glaciales de ces jours-ci, il pourrait prendre une tournure dramatique.
« Avant, on avait des hommes seuls à la rue, on était habitués. Maintenant, il y a de plus en plus de femmes avec des enfants très jeunes, de 3, 4 ans, parfois des bébés. C’est déchirant », rapporte, à Toulouse (Haute-Garonne), Houria Tareb, secrétaire générale du Secours populaire. « Désormais, sur certaines maraudes à Paris, on croise systématiquement des femmes avec enfants », confirme Cédric Chalret du Rieu, président de l’Ordre de Malte France.
Combien sont-ils en France, ces enfants qui « se glissent le soir dans des tentes, des bouts de garage, des sous-sols, ou se font héberger une nuit ou deux chez des proches avant de repartir à la rue », comme le décrit Christophe Robert, directeur général de la Fondation Abbé Pierre ?
Les statistiques précises n’existent pas, mais, d’après Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), les remontées de terrain font état d’au moins 6 000 familles et 2 000 enfants à la rue.
« Des chiffres sans doute largement minorés, ajoute-t-il. Les deux tiers des SDF n’appellent même plus le 115 (le numéro pour trouver un hébergement d’urgence). D’ailleurs, beaucoup ne connaissent même pas le dispositif. »
« Ils préfèrent se cacher plutôt que de se signaler »
Le dimanche matin, dans la Ville rose, lors de la traditionnelle distribution du petit-déjeuner du Secours populaire, sur la centaine de sans-abri qui se pressent pour récupérer leur boisson chaude, il y a depuis quelques semaines entre 15 et 20 enfants.
Le 115 parvient aussi à avoir un aperçu global de la situation, grâce aux « demandes non pourvues » chaque soir. Le 5 décembre, rien que dans la capitale, 5 000 personnes n’ont pas obtenu de lit en urgence. Parmi elles, 2 800 familles, dont 1 300 enfants. Autre indicateur : « L’État a récemment créé des places pour les femmes sortant de maternité (1 000 en 2021 en Île-de-France). Or, aujourd’hui, elles sont régulièrement saturées », rappelle Camille Joubert, de la Croix-Rouge.
« On retrouve parfois des mères avec des enfants dans des cages d’escalier. Ils préfèrent se cacher plutôt que de se signaler. Une crainte très fréquente lorsque des parents se retrouvent à la rue, c’est qu’on leur enlève leur enfant pour le placer à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), mais ce n’est pas toujours fondé », insiste Houria Tareb, du Secours populaire.
Camille Joubert abonde : « Ils s’invisibilisent d’eux-mêmes, donc ils ne peuvent être pris en charge par les maraudes », ces patrouilles de bénévoles et de travailleurs sociaux pour venir en aide aux SDF à la nuit tombée.
Les effets de la crise
Comment en est-on arrivé là ? Le phénomène s’explique notamment cet hiver par une hausse générale de la précarité liée à l’inflation. « Il y a des familles sur le fil du rasoir qui basculent, sont expulsées de leur logement. Cette année, la moitié de nos aides financières d’urgence sont consacrées à des personnes qui veulent juste être maintenues chez elles. C’est la première fois que ça arrive », indique Houria Tareb.
« Il y a aussi un après-Covid, avec de nouveaux profils de sans-domicile, dont les femmes et les enfants », commente Céline Le Clech, chef d’équipe maraudes pour la délégation Haute-Savoie de l’Ordre de Malte France.
Une analyse partagée par toutes les associations. Pendant la crise sanitaire, « le gouvernement a mis en place diverses mesures, comme le chômage partiel, qui ont limité les dégâts, développe Pascal Brice, le patron de la FAS. Mais tous ces dispositifs ont été stoppés et cela a clairement mis des gens à la rue. » « La fin du quoi qu’il en coûte pour protéger la population aboutit à une situation dramatique et inédite », insiste Raphaël Vulliez, le président de Jamais sans toit, association lyonnaise de mise à l’abri qui, sur 116 familles suivies, dénombre 37 bébés.
La baisse des places allouées au 115 est aussi en cause. « Nous sommes confrontés cette année à une situation très particulière, éclaire Vanessa Benoit, directrice générale du Samu social de Paris, qui gère le numéro d’appel d’urgence dans la capitale. Pendant le Covid, les hôtels proposaient de nombreuses places d’hébergement d’urgence, étant donné que les touristes avaient déserté.
Or, depuis le début de l’année, ces mêmes établissements refont le plein de clients. Les familles sont très impactées car elles étaient envoyées plus facilement dans ce type de structures qu’en centre d’hébergement », conçu traditionnellement pour les hommes seuls.
Résultat : au Samu social, les demandes non pourvues ont doublé depuis début 2022. « Il existe des centres d’hébergement pour les familles, mais pas suffisamment, et il ne s’en crée pas assez rapidement », déplore Vanessa Benoit.
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