En Ile-de-France, près de 40 % des places d’hébergement d’urgence pour les sans-abri se font dans des hôtels. Faute de logements, on y reste souvent plusieurs années… Reportage dans le Val-d’Oise.
A Cergy-Saint-Christophe, un ancien hôtel économique s’est reconverti totalement en hôtel social pour accueillir des sans-abri. Les locaux ont été adaptés et une équipe constituée d’une assistante sociale, d’une éducatrice spécialisée et d’une médiatrice sont sur place à temps plein pour accompagner les familles dans leur insertion. LP/A.F.
La fillette de 19 mois trépigne devant la porte, prête à cavaler dans le couloir dès que l'occasion se présente. D'ailleurs, elle profite que sa mère change sa petite sœur pour l'ouvrir et tenter une escapade mais elle n'aura pas le temps d'en franchir le seuil avant d'être rattrapée : impossible d'échapper à la vigilance parentale quand on vit à quatre dans une chambre d'hôtel.
« Toute la journée, c'est dur de l'empêcher de sortir, les enfants ont besoin de bouger mais ils n'ont pas le droit d'aller faire du bruit comme ça », soupire la mère de famille, installée dans cet ancien hôtel Balladins de Cergy-Saint-Christophe (Val-d'Oise) depuis août 2019, après un autre séjour hôtelier à Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne). Depuis, elle « prie Dieu pour nous donner un appartement ». Comme les 44 autres ménages répartis dans les 46 chambres de l'établissement : 138 personnes dont 75 enfants lundi soir.
Pour le moment, elle patiente, encore et toujours, sans savoir jusqu'à quand. « Aujourd'hui, les familles représentent plus de la moitié des appels au 115, estime le Samu social. Et de transitoire, du fait des difficultés d'accès au logement, l'hôtel s'est transformé en lieu de séjour prolongé : en 2019, 11 % des familles y résidaient depuis plus de cinq ans. » En Ile-de-France, parmi les 130 000 sans abri pris en charge chaque nuit, 53 000 sont accueillis à l'hôtel par manque de place.
Des établissements qui ne répondent pas aux besoins des familles
Si le Samu social recherche des chambres adaptées à la composition familiales dans des hôtels répondant aux normes de sécurité des établissements recevant du public, la vie à l'hôtel n'en demeure pas moins inadaptée aux familles sur le long terme. « Principales difficultés : l'absence d'espace dédié pour les enfants, les difficultés pour préparer les repas, l'éloignement des commodités simples, des services de transport ainsi que l'absence de tissu associatif local pouvant accompagner les familles et leur venir en aide », énumère Philippe Baudassé, responsable du projet « Mieux vivre à l'hôtel ».
D'où l'idée de créer des établissements « Sas », en 2017, pour évaluer les besoins des familles avant de les orienter vers des lieux plus adaptés. L'ancien Balladins de Cergy-Saint-Christophe (Val-d'Oise) en est un. Outre le fait qu'il n'accueille plus de grand public, pour se consacrer à l'hébergement d'urgence, des aménagements ont été faits pour adoucir un peu le quotidien des familles : une pièce est transformée en salle de jeux, un espace permet de stocker les poussettes, chaque chambre est équipée d'un frigo et une cuisine collective équipée de plaques électriques est à disposition. Surtout, une équipe dédiée à l'accompagnement et l'insertion est sur place à plein temps. Des associations viennent proposer des animations pour les enfants, des cours de français pour les parents, des sorties et des visites « car l'intégration passe aussi par l'appropriation du patrimoine commun », souligne Shérazade, la médiatrice.
Et Eddy, le dynamique réceptionniste qui tient à remettre un coup de peinture et vérifier la robinetterie avant chaque nouvelle arrivée. « Quand une famille passe plus d'un an dans une chambre, il y a forcément des choses à rafraîchir, insiste-t-il. Quand une famille entre, il faut que ce soit propre et qu'ils s'y sentent bien. »
«Le système s'est complètement embolisé»
Car les gens ne font plus que passer. « Le système s'est complètement embolisé », soupire Philippe Baudassé. Faute de turn-over par manque d'opportunité de sortie, le Sas ne peut plus accueillir les nouvelles familles prises en charge par le 115. Il redeviendra donc un hôtel social classique dès ce 31 décembre au soir. A compter du 1er janvier, l'équipe sociale ne sera plus à demeure mais fera le tour des hôtels accueillant du public en hébergement d'urgence, pour aller à a rencontre des familles.
Comme le Formule 1 de Cergy-Préfecture, par exemple, qui s'est mis à ouvrir ses portes aux sans-abri depuis le premier confinement. « On n'est pas un groupe hôtelier social, expose Jean-Michel Dalmasso, patron du groupe Dalmata Hospitality qui compte une cinquantaine de franchisés spécialisés dans l'économique. Mais on avait une base de clientèle associative qui louait nos chambres avant la rénovation de nos hôtels. C'était ponctuel. Quand est arrivée la crise sanitaire, ça aurait été beaucoup plus facile de fermer et de mettre en place une surveillance. Mais on s'est dit qu'on s'appelle aussi Hospitality. Alors il a fallu convaincre les salariés de travailler dans de nouvelles conditions et se réorganiser pour accueillir une clientèle plus difficile sous certains aspects. Aujourd'hui, ils sont fiers. »
Ce mardi, le Formule 1 de Cergy-Préfecture de 138 chambres comptait 83 personnes hébergées dont 14 enfants. Mais aussi des femmes battues, des aides-soignants, des salariés en déplacement…