Le système d’hébergement d’urgence ne suffit plus : parmi les 130 000 sans abri pris en charge chaque nuit, 53 000 sont accueillis à l’hôtel par manque de place. Un dispositif coûteux.
(Illustration). Sur les « 130 000 places ouvertes en Ile-de-France chaque nuit pour les sans-abri », selon la préfecture de région, autour de 40 % sont des chambres d’hôtel. LP/Arnaud Dumontier
Quand le parc social est saturé, que les centres d'hébergement débordent, il reste le système D : les nuits d'hôtels. Face à l'ampleur des besoins, la variable d'ajustement prend un peu plus de place chaque année alors même que ce type d'hébergement est pourtant le plus coûteux. Ainsi, sur les « 130 000 places ouvertes en Ile-de-France chaque nuit pour les sans-abri », selon la préfecture de région, autour de 40 % sont des chambres d'hôtel.
Il y a cinq ans, 35 000 personnes étaient logées dans 578 hôtels de Paris et sa banlieue, ce qui représentait déjà 15 % de l'offre hôtelière de la région. « Pour répondre à la demande croissante d'hébergement d'urgence qui s'est manifestée depuis plusieurs années, et face à la saturation des structures d'accueil, le recours à la réservation de nuitées d'hôtel s'est significativement développé : les places à l'hôtel, qui se sont élevées à 48 706 en 2018, représentent un tiers de la capacité d'hébergement généraliste. Elles sont concentrées en Ile-de-France où 40 000 nuitées sont réservées chaque jour », relève un rapport sénatorial publié en juin 2019.
Et les besoins ont encore gonflé depuis. « Les dimensions sont devenues énormes », assène Christine Laconde, directrice générale du Samu social de Paris qui a mis en place un service dédié, baptisé Delta, où une centaine de personnes travaillent à temps plein pour rechercher des chambres d'hôtel disponibles, gérer les réservations pour plusieurs départements franciliens et s'apprête à l'assurer pour l'ensemble de l'Ile-de-France dès le mois prochain.
643 hôtels en Ile-de-France, près d'1 million d'euros chaque nuit, 300 millions d'euros à l'année
Avec la crise sanitaire, la baisse du tourisme et les déplacements de professionnels a entraîné une baisse du nombre de réservations de 42 % en septembre 2020, comparé à l'année précédente. Ce qui a facilité la tâche de Delta pour trouver des chambres, et permis aux hôteliers de limiter la casse au niveau de leur chiffre d'affaires.
Ainsi, à la veille du premier confinement, ce service réservait 38 000 chambres par jour. Il en a trouvé depuis 15 000 de plus. « Au 26 octobre 2020, le nombre total de nuitées hôtelières s'élevait à 53 545 en Île-de-France », calcule la préfecture de région qui chiffre le « coût moyen d'une nuitée à 21 euros » à Paris, 18 euros en moyenne dans la région. Note globale à régler auprès de 643 hôtels d'Ile-de-France : près d'1 million d'euros chaque nuit, 300 millions d'euros à l'année.
La chambre, plus petite qu'un studio et sans cuisine, coûte ainsi à l'Etat 630 euros par mois et par personne. Soit bien plus cher qu'un appartement classique. Sans pour autant que les conditions de vie soient optimales. « La demande de réservation de nuitées hôtelières effectuée par le Samu social de Paris est si importante qu'il est contraint de saisir les places qui s'offrent à lui, déplorent les sénateurs. Cette situation ne permet donc pas de sélectionner des places aux conditions d'accueil satisfaisantes et adaptées, par exemple pour l'hébergement de familles. »
Difficile de vivre à quatre dans une chambre et d'y contenir des enfants en bas âge toute la journée, de n'avoir rien d'autre qu'un four à micro-onde pour préparer les repas et un sac plastic accroché à la fenêtre pour stocker les denrées au frais, à l'extérieur.
«Certains hôtels se sont spécialisés dans l'hébergement d'urgence»
Dans les années 1980, ces hôtels à bas coût qui ont fleuri dans les zones industrielles et autres parcs d'activité n'ont, selon les points de vue, « jamais vraiment trouvé leur public » ou sont depuis « passés de mode ». Avec l'hébergement d'urgence, ils ont trouvé l'opportunité de remplir leurs chambres. « Il s'agit souvent d'établissement qui n'ont pas les moyens de raffraichir leurs locaux et qui trouvent là un moyen de s'assurer une clientèle récurrente tout en réduisant les coûts de personnel », constate un hôtelier. « L'absence de fluctuation de l'activité, assez rassurante, est un argument convaincant », confirme-t-on au Samu social
Et « compte tenu de la forte demande et des difficultés d'accueillir concomitamment le public touristique et celui de l'hébergement d'urgence, certains hôtels se sont spécialisés dans l'hébergement d'urgence », analysent aussi les sénateurs dans leur rapport. En témoignent les commentaires des sites de voyageurs se plaignant du bruit des familles.
Selon une enquête du Secours Catholique publiée en juillet 2017, 89 % des personnes hébergées à l'hôtel sont des familles. Un peu plus de la moitié des résidents sont des enfants. Age moyen : 6 ans. Actuellement, selon les chiffres du Samu social, 74 % des prises en charge concernent des ménages composés au moins d'un enfant, 7 % des couples et 19 % des personnes isolées.
On y reste parfois durant des années
« Les financements des nuitées et la configuration des hôtels ne permettent pas d'assurer un accompagnement satisfaisant du public accueilli, contrairement aux centres d'hébergement. Si l'accueil à l'hôtel a donc vocation à héberger les personnes sans abri pour une courte durée, la saturation des dispositifs et le manque de fluidité dans le parc d'hébergement conduit des publics à rester hébergés à l'hôtel pour plusieurs mois, voire plusieurs années », déplore le rapport sénatorial.
En moyenne, les personnes logées à l'hôtel y restent deux ans et demi. Mais « la moitié y est depuis plus de deux ans, martèle Christine Laconde. La raison majeure, c'est l'accès au logement qui est un parcours du combattant. Les gens font face à des galères sans nom pour avoir des situations de séjour régularisées et des papiers pour pouvoir prétendre au logement. Derrière tout ça, il faut un plan d'insertion logement pour aider ces gens à quitter l'hôtel. Faute de sortie, on est quasiment contraint de créer une nouvelle place pour chaque nouvelle demande mais il faut tout autant réfléchir à l'après. Actuellement, beaucoup d'hôtels sont vides mais ils n'ont pas vocation à le rester, que se passera-t-il à l'issue de la crise sanitaire ? L'enjeu de la sortie d'hébergement d'urgence sera beaucoup plus fort que l'an dernier, c'est une bombe à retardement. »
L'Etat a racheté 62 établissements en 2017
Pour tenter de faire baisser la facture, la SNI (Société nationale immobilière), filiale de la Caisse des dépôts, a racheté, en 2017, 62 hôtels Formule 1 au groupe Accor, dont une quinzaine en Ile-de-France. Des travaux ont été faits pour humaniser ces établissements dont la gestion a été confiée à Adoma (ex-Sonacotra). « Ils ont été transformés en quelque chose de plus adapté, concède Christine Laconde. Cela nous permet de déployer de vraies équipes sociales pour accompagner les familles. On aimerait une opération de plus grande envergure, dans des endroits mieux situés. »
Parallèlement, l'Etat tente de déployer une autre solution, à la fois moins coûteuse et plus adaptée aux besoins des familles : c'est Solibail, un système d'intermédiation locative : le propriétaire loue son appartement à une association agréée qui y loge des personnes modestes. En échange d'un loyer plafonné, son paiement est garanti par l'Etat. Mais sur l'ensemble de la région, le parc ainsi constitué ne compte que 5 846 logements répartis à 57 % en petite couronne et 43 % en grande couronne.
La construction de logements sociaux à la traîne
Au regard du peu d'engouement pour construire des logements sociaux, le ciel n'est pas près de s'éclaircir : jamais, en Ile-de-France, depuis cinq ans, le nombre d'agréments délivré par l'Etat pour conventionner des logements sociaux, n'a été aussi bas qu'en 2020. Il s'établit à 21 000. Il était de 36 000 en 2016, 30 000 en 2017, 28 800 en 2018 et 28 600 en 2019. Or, selon le schéma régional de l'habitat, il en faudrait 37 000 par an. « Et pendant ce temps, le besoin de logement social augmente », avec près de 750 000 demandes actives, s'inquiète Jean-Luc Vidon, président de l'Aorif, l'association des bailleurs sociaux d'Ile-de-France.
Et chaque soir, en Ile-de-France, des centaines d'hommes et de femmes, parfois avec enfants, restent sans solution pour passer la nuit.