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16 novembre 2019 6 16 /11 /novembre /2019 08:58
LA LENTE MARCHE DES VILLES CONTRE LE LOGEMENT INDIGNE
Mardi, 5 Novembre, 2019
 

Habitat. La volonté des collectivités locales est capitale dans la lutte contre l’insalubrité. Mais l’engagement financier insuffisant de l’État et le déficit de production de logements abordables en font une longue course d’obstacles.

 

Comment lutter contre l’habitat indigne ? Un an après la mort de huit personnes dans l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne, à Marseille, un nombre croissant de maires se penchent sur ce problème qui concerne 400 000 à 800 000 logements en France. « On sent une plus grande sensibilité. Aubagne a au moins servi à faire prendre conscience de la responsabilité de la puissance publique, même quand il s’agit de propriété privée. Des maires se mettent en action, parce qu’ils ont peur d’assister à une catastrophe dans leur ville », observe Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre (FAP). Cette volonté politique des collectivités locales fait la différence. Pour preuve, le décalage entre la cité phocéenne et la capitale. D’un côté, le choix de mettre de l’argent public dans des opérations urbaines de prestige en laissant des pans entiers de l’habitat populaire à l’abandon ; de l’autre côté, la mobilisation de 1,3 milliard d’euros pour permettre la réhabilitation de 1 030 immeubles entre 2000 et 2010. Un succès qui se heurte pourtant à de nombreux obstacles. « Pour que ces politiques fonctionnent, il faut les mener dans la durée. C’est un travail long et opiniâtre », analyse Ian Brossat, adjoint PCF à la Mairie de Paris en charge du logement.

Les outils existent. « On a toute une gradation d’actions qui vont de l’incitatif à la mise en place de grosses opérations d’aménagement », explique David Proult, premier adjoint au maire PCF de Saint-Denis, en charge de l’aménagement durable et de l’urbanisme. La ville, parmi les plus touchées du pays avec 40 % de son centre-ville potentiellement indigne, a pris depuis une dizaine d’années le problème à bras-le-corps. Elle mène un travail patient pour convaincre les propriétaires de réaliser des travaux, financés jusqu’à 50 % par les fonds alloués dans le cadre des opérations pour l’amélioration de l’habitat (Opah). « Ces opérations ne concernent pas l’habitat le plus dégradé, mais ce sont elles qui permettent de toucher le plus d’immeubles », précise David Proult. À l’autre bout de l’échelle, les grosses opérations d’aménagement permettent à la mairie, via une société publique, de racheter des îlots entiers. Leur réhabilitation est ensuite financée avec l’aide du Programme national de rénovation urbaine (PNRU). « Le fonctionnement du marché ne permet pas de sortir ces immeubles de l’insalubrité, parce que le coût des réparations y est trop important, au regard de la valeur des biens concernés », explique l’adjoint au maire. À cet arsenal, Saint-Denis a ajouté, comme de plus en plus de villes, un outil préventif. Début janvier, elle a mis en place un permis de louer, obligeant les bailleurs à obtenir une autorisation de la mairie avant de mettre leur bien en location.

« Beaucoup de propriétaires restent très longtemps inactifs »

Mais la volonté politique des villes se heurte à des résistances. Entre l’incitatif et la préemption, la mairie peut prendre des arrêtés de péril ou d’insalubrité, et saisir la justice s’il y a danger. En principe, ces arrêtés autorisent les locataires à cesser de payer leurs loyers et sont contraignants. Mais dans les faits, c’est rarement le cas. « Beaucoup de propriétaires restent très longtemps inactifs », euphémise David Proult. Les propriétaires, surtout les plus malhonnêtes, savent jouer sur la complexité d’un système qui ne fait intervenir pas moins de 13 polices (agence régionale de santé, préfet, maire...) et 21 procédures différentes. La complexité permet aux acteurs de se renvoyer la responsabilité de l’inaction et limite l’impact des arrêtés. Sur 2 300 adoptés chaque année, pas plus de 140 aboutissent à un procès, selon l’Union sociale pour l’habitat. La simplification est à l’ordre du jour. Attendue pour mai 2020, une circulaire devrait réduire le nombre d’acteurs et de lois, comme l’a suggéré un récent rapport parlementaire, reprenant à son compte une proposition de loi présentée en mai par le député PCF Stéphane Peu. Mais la simplification n’est pas tout. L’application de la justice souffre aussi du manque de personnel spécialisé au sein des tribunaux, même si le gouvernement vient de renforcer six d’entre eux.

Autre obstacle, « la législation très protectrice du droit de propriété, même quand les bailleurs sont indélicats », observe David Proult. Cela implique des procédures très longues, avec une multiplication des possibilités de recours au détriment de l’efficacité. Jusqu’à très récemment, les villes devaient même payer au prix du marché un bien saisi à un marchand de sommeil. « Il y a eu une avancée législative grâce à un amendement adopté dans la loi Elan et présenté par Stéphane Peu, observe Ian Brossat. Désormais, on peut exproprier sans indemniser. » Parallèlement, trop peu est fait pour accompagner les victimes, souvent parmi les populations les plus fragiles, peu enclines à partir dans une guerre longue et complexe contre leur propriétaire. Le gouvernement a récemment mis en place un numéro vert. Un dispositif jugé insuffisant par la FAP. « Le plus important pour nous, c’est l’accompagnement juridique et social des habitants. D’abord, il faut convaincre les gens de porter plainte. Ensuite, les suivre pendant toute la procédure. À Paris, quand on fait un signalement, ça prend cinq à six ans avant qu’il y ait une première intervention », explique Christophe Robert.

Le drame d’Aubagne n’a pas conduit à une augmentation des moyens de lutte contre le logement indigne. Les nouveaux programmes sur les copropriétés dégradées et les cœurs de ville n’y changent rien. « On n’est pas à la hauteur du problème, martèle Christophe Robert. Depuis des années, la FAP plaide pour un objectif national de 60 000 logements rénovés par an pendant dix ans. »

Les villes doivent se démultiplier pour pallier les manques

On en est loin. L’Agence nationale de l’habitat (Anah), qui pilote le gros des rénovations, prévoit 10 000 à 15 000 réhabilitations par an. Sans même y parvenir. Et toutes les collectivités n’ont pas les moyens de compléter les subventions de l’État. D’autant que le coût des réhabilitations est prohibitif. « Entre les procédures très longues, le coût du relogement et celui énorme des travaux, ces opérations sont extrêmement déficitaires », rappelle David Proult. Le problème va bien au-delà de la réalisation des travaux. Depuis la justice, qui manque d’experts dédiés, jusqu’aux services chargés de vérifier la salubrité des habitations, exsangues, toutes les strates de l’État manquent de main-d’œuvre. Là encore, les villes doivent se démultiplier pour pallier les manques. Paris s’est dotée de son propre service technique de l’habitat, tout comme Saint-Denis ou Aubervilliers. Jugée indispensable par la FAP, cette mobilisation d’un personnel dédié et compétent n’est pourtant pas à la portée de toutes les collectivités.

« Derrière la question de l’habitat indigne, c’est toute la question de la politique sociale du logement qui est posée », rappelle Christophe Robert. Ceux qui acceptent de vivre dans ces taudis le font parce qu’ils n’ont pas le choix, coincés entre un marché privé inabordable pour leurs faibles moyens et des HLM en nombre insuffisant. Cette crise du logement abordable, particulièrement sensible dans les grandes métropoles, se répercute sur les opérations de réhabilitation, en rendant long et complexe le relogement des habitants sortis de l’insalubrité. Elle fournit aussi un nombre continu d’exclus qui n’ont pas d’autre choix que d’alimenter ce marché parallèle. « La course contre l’insalubrité, résume David Proult, se joue aussi et surtout dans la capacité à construire du logement abordable à l’échelle de toute la région. »

Camille Bauer
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