C’est une réforme dont on parle peu mais qui va toucher 6,5 millions de foyers et près de 13 millions de personnes. À partir du 1er janvier 2020, le mode de calcul des aides personnalisées au logement (APL), qui dépend de ressources de l’allocataire, évolue. Alors que jusqu’ici l’APL était calculée à partir des revenus d’il y a deux ans, désormais, ils prendront en compte les revenus des douze derniers mois et seront actualisés tous les trimestres.
Rendue possible techniquement par le prélèvement à la source, cette réforme dite de « contemporénéité », qui a fait l’objet d’une lettre envoyée à tous les allocataires début novembre, « va permettre à chacun d’avoir ce dont il a besoin, et surtout de l’avoir au bon moment et non pas deux ans après, comme c’est le cas aujourd’hui », a argumenté Julien Denormandie, le ministre chargé du logement, dans le journal 20 Minutes. Ainsi, à partir de janvier et jusqu’à mars, l’APL, versée le 5 du mois, sera calculée sur les revenus de décembre 2018 à novembre 2019, puis à partir d’avril, sur les revenus de mars 2019 à février 2020…
Si la logique de cette « APL en temps réel » n’est pas contestée, son impact sur les allocataires, lui, provoque l’inquiétude. En juillet dernier, Le Canard enchaîné avait affirmé que 1,2 million de personnes seraient perdantes après la réforme et que 600 000 ne toucheraient plus rien. « Nous ne voyons pas à quoi ces chiffres font référence, dément-on au cabinet Denormandie. Ce que nous savons, c’est que, chaque année, entre 1 et 2 millions de personnes voient leurs APL évoluer parce que leurs ressources évoluent. La seule chose qui change avec la réforme, c’est que les hausses et baisses de ressources seront prises en compte plus vite. Un chômeur qui retrouve un travail verra son APL diminuée plus rapidement, à l’inverse une personne qui passe à temps partiel attendra moins longtemps avant de voir son aide calée sur son revenu actuel. »
Toutefois, le gouvernement prévoit bien de faire des économies puisque, dans son budget 2020, l’enveloppe de l’APL diminue de 1,2 milliard d’euros. « Ce ne sont pas des économies budgétaires mais la conséquence de l’embellie économique qui veut que plus de gens retrouvent du travail et voient leurs ressources augmenter et donc leur APL baisser, ce qui est normal », assure-t-on dans l’entourage du ministre. Qui estime même qu’il va corriger une injustice en supprimant une disposition technique qui excluait jusque-là de l’APL les étudiants qui ne la touchaient pas avant, par exemple parce qu’ils dépendaient de leurs parents, et qui ne faisaient leur première demande qu’une fois salariés.
S’il ne remet pas en cause le principe de la réforme, Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, estime que « cette réforme fera quand même des perdants et nous aimerions avoir une étude d’impact pour savoir qui ». Les associations craignent l’impact sur les personnes très modestes qui, du fait d’une hausse de revenus, verront leur APL amputée beaucoup plus brutalement qu’auparavant. En particulier les jeunes qui entrent dans la vie active.
L’Union nationale pour l’habitat des jeunes cite, dans une note, l’exemple d’un jeune de 24 ans avec un loyer de 400 € qui prend un travail rémunéré 750 € par mois. Avant la réforme, son APL, calculée sur l’année N-2 et maintenue lors de ce début de vie active, était de 366 €. Avec la réforme, il ne percevra plus que 354 € d’APL le premier trimestre après ce changement puis 296 €, puis 229 €, puis au bout d’un an, 165 €. Soit, 1 242 € d’APL en moins qu’avant la réforme. Ce qui est beaucoup pour ce niveau de revenu, estime l’Unhaj, qui ajoute « qu’il sera passé d’un revenu disponible après paiement des charges logement de 716 € à 515 € ».
« C’est étonnant alors que la stratégie de lutte contre la pauvreté est censée mettre le paquet sur les jeunes et inciter à la reprise d’activité », analyse Jeanne Dietrich, conseillère hébergement logement à l’Uniopss, qui précise que « parallèlement on a des signaux qui indiquent que l’ouverture aux jeunes du futur revenu universel d’activité, qui ne sera créé qu’en 2023, ne serait plus certaine. »
De plus, complète Christophe Robert, « on fait déjà 2,5 milliards d’économies sur les APL, si on inclut la baisse de 5 €, le gel en 2018 et la petite revalorisation de 0,3 % en 2019 et 2020, bien en dessous de l’inflation ». Or, selon une étude de la Drees, deux allocataires sur cinq vivent sous le seuil de pauvreté.