Lutte contre le mal-logement : la fondation Abbé-Pierre voit le salut dans les politiques locales
LogementPublié le mardi 31 janvier 2017
© Fondation Abbé Pierre
Le mal-logement n'est pas une fatalité. La fondation Abbé-Pierre le redit depuis des années. Elle le redira ce 31 janvier aux candidats à la présidentielle qu'elle a invités à la journée de présentation de son 22e rapport. Elle leur soufflera ses "15 idées contre la crise du logement" et écoutera leur programme sur la question. Elle rappellera que le mal-logement touche tous les territoires sous des visages différents. D'où l'idée de s'appuyer davantage sur les intercommunalités pour l'éradiquer par des politiques locales ajustées au plus près des réalités. Selon elle, un quinquennat serait suffisant pour régler la question des sans-abri et des sans-domicile dans la plupart des villes.
"On veut voir ce qu'ils ont dans le ventre." Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre, s'apprête à accueillir, mardi 31 janvier, à la Grande Arche de la fraternité (La Défense), les candidats aux élections présidentielles. Après une matinée, en présence de la ministre du Logement Emmanuelle Cosse, consacrée à la traditionnelle présentation des chiffres du mal-logement du rapport 2017, Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Benoît Hamon, Emmanuel Macron et François Fillon auront chacun une demi-heure pour exposer leur vision politique du mal-logement et défendre leur programme en la matière.
Autant le dire tout de suite : Marine Le Pen n'a pas été invitée. La fondation a estimée qu'il serait inutile de perdre du temps avec quelqu'un qui ne partage pas ses valeurs fondamentales, comme celle de l'accueil inconditionnel de toute personne dans les structures d'hébergement d'urgence. "Nous ne méprisons pas les électeurs frontistes" et "nous sommes prêts à débattre avec le FN dans les espaces médias dédiés", tient à souligner Christophe Robert. En d'autres termes : on veut bien discuter mal-logement avec n'importe qui mais pas n'importe où (en l'occurrence, pas chez nous).
Une demi-heure sur la question du mal-logement, c'est beaucoup. Les candidats ne pourront pas se contenter de lancer ça et là deux ou trois petites phrases compassionnelles. Christophe Robert a prévenu : il faut "arrêter de bricoler des trucs". Face à la tentation grandissante de baisser les bras, la fondation appelle à "changer d'échelle" pour "construire une société plus fraternelle et plus juste". Il serait, selon elle, possible de "faire autrement", la preuve par l'exemple : il y a des actions locales "qui marchent", des politiques publiques qui fonctionnement à l'étranger… Bonnes pratiques et initiatives citoyennes sont mises en ligne dans le cadre de la campagne de mobilisation citoyenne #OnAttendQuoi pour faire du logement une priorité, lancée en septembre dernier à l'attention des citoyens, des associations mais aussi des élus.
Au futur président de la République, la fondation propose un grand plan d'actions national pour sortir les sans-abris et les sans domicile de leur situation. "On en a les moyens et la structuration", assure Christophe Robert. Selon lui, "on peut régler ça en 5 ou 10 ans selon les territoires". Dans la plupart des villes, cela prendrait un quinquennat. A Paris, Lyon et Marseille, "ce sera plus long".
Pour cela, il faudra lancer le plan dès le début du quinquennat, sans perdre de temps à commander un nouveau diagnostic (la situation, on la connaît), ni se faire plaisir avec une nouvelle grosse loi comme Alur (les outils législatifs et réglementaires, ils existent désormais). Le plan reposerait sur "la coordination de 5-6-7 leviers simultanés", actionnés dans la durée, avec des déclinaisons territoriales dans les agglomérations, les métropoles et les villes,moyennes et il serait accompagné d'une loi de programmation financière pluriannuelle.
"Nous ne sommes pas naïfs, nous avons bien conscience du pouvoir des lobbys et de la moindre capacité d'intervention de l'Etat après les deux RGPP", indique le DG de la fondation Abbé-Pierre. Alors, si aux premières semaines du quinquennat, la fondation comprend que l'Etat ne déploiera pas l'ambition politique suffisante, elle passera sans attendre au plan B. "Si ça ne passe pas par l'Etat, on passera par les territoires", résume Christophe Robert. Après cette journée du 31 janvier, la fondation présentera son rapport en région, accompagné d'évènements s'inscrivant dans la continuité de la campagne #OnAttendQuoi. Une sorte de "#OnAttendQuoi en régions pour faire du logement une priorité".
"Depuis la seconde moitié des années 2000, les outils des politiques locales n'ont cessé de se renforcer", rappelle-t-elle dans le rapport. "Mais les politiques de l'Etat semblent résister à ces évolutions en affichant des objectifs de production nationaux très centrés sur des enjeux de soutien au bâtiment, en persistant dans le développement d'aides peu sensibles à la diversité des territoires (aides à l'accession à la propriété et à l'investissement locatif reposant sur un zonage très sommaire) et en organisant le recul de la présence et de l'expertise de ses services déconcentrés". La fondation semble ici penser que les élus locaux seraient moins sensibles au lobby du bâtiment que les exécutifs nationaux.
Passer par les territoires, cela veut d'abord dire prendre conscience de la diversité du mal-logement qui sévit en France, pour ensuite adapter la gouvernance de la politique du logement selon la situation.
"Contrairement à certaines idées reçues, le mal-logement n'est pas cantonné aux zones tendues. Ce phénomène est présent partout, mais d'intensité et de nature différentes selon les territoires". La fondation l'a déjà dit et répété dans ses précédents rapports (en particulier celui de 2013, voir notre article "De quel mal-logement souffre votre territoire ?" du 31 janvier 2013). Le rapport 2017 du mal-logement identifie six grandes catégories de territoire : l'agglomération de Paris, les métropoles du bassin méditerranéen et le genevois français, les autres métropoles, les villes moyennes dynamiques, les villes petites et moyennes en déprise, les territoires ruraux.
C'est dans les territoires dynamiques que la dégradation est la plus manifeste et que les phénomènes d'exclusion sont les plus violents. Ces territoires dynamiques, parmi lesquels on compte les secteurs touristiques et transfrontaliers, sont notamment caractérisés par : une pression forte sur le logement social, une tension sur le secteur de l'hébergement, un habitat indigne dans le parc locatif privé "social de fait".
Dans les secteurs en déprise économique, l'accès au logement est plus facile mais, pour les ménages en précarité, il est bien souvent de piètre qualité, voire indigne. "La précarisation d'une partie de la population alimente des situations de mal-logement invisibles", alerte la fondation.
Les régions rurales éloignées des grands pôles de développement connaissent des problématiques spécifiques : prix du logement moins élevé, mais parc souvent vétuste habité par des propriétaires parfois impécunieux, souvent vieillissants, qui n'ont pas les moyens d'une remise aux normes. Les ménages modestes peuvent encore accéder à la propriété mais "leur faible solvabilité et le niveau de vétusté des biens acquis se cumulent parfois pour aboutir à des situations d'endettement ou de conditions de vie dégradées (problème de chauffage, d'isolation…)".
Pour la fondation, il faudrait dès lors, d'une part "rendre l'Etat et sa politique de l'habitat plus sensibles à la diversité croissante des territoires" et d'autre part "donner aux EPCI les moyens d'une action cohérente sur leur territoire dans le cadre d'un conventionnement sur objectifs".
La fondation en est convaincue : "l'affirmation des intercommunalités doit être poursuivie pour dépasser les frontières municipales trop étroites". Elle suggère que les élus intercommunaux soient élus par suffrage universel direct, "de façon à doter les exécutifs des EPCI d'une légitimité démocratique forte et à leur donner la possibilité d'affirmer un intérêt général intercommunal".
Elle milite pour la généralisation des PLUi (plan local d'urbanisme intercommunal), "sans droit de veto des communes qui voudraient s'en affranchir". Selon elle, les PLUi sont "l'antidote, nécessaire mais pas suffisante, au repli sur soi et à la concurrence des territoires, pour mener une politique de construction sociale à la bonne échelle, dotée de moyens humains et financiers conséquents".
"Renforcer le pilotage local des politiques du logement par les intercommunalités" est la 13e idée de la fondation soumise aux candidats à la Présidentielle (voir la liste des 15 idées dans l'encadré ci-dessous).
Le mouvement serait d'ores et déjà engagé dans les métropoles. Les conventions de délégation des aides à la pierre ont ouvert la voie à une contractualisation sur objectifs, ainsi que le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville. La fondation suggère d'ajouter des objectifs (et des moyens) pour l'accession à la propriété, l'investissement défiscalisé, la lutte contre l'habitat indigne et la précarité énergétique, et "la lutte contre le mal-logement" de manière générale.
En dehors des métropoles, "l'enjeu est d'accompagner plus et mieux les intercommunalités plus jeunes et souvent bouleversées par les révisions de leurs périmètres", affirme-t-elle. Leurs problématiques sont diverses : centres-ville délaissés, vacance du parc social, périurbanisation, pauvreté "persistante et vieillissante"… Ceci supposerait un accompagnement "fort" de l'Etat, "notamment via ce qu'il reste de ses services déconcentrés", précise le rapport. Car "de telles démarches de contractualisation exigent évidemment un Etat local doté d'expertise (pour comprendre les territoires et leurs besoins), de souplesse (pour favoriser les adaptations locales) et de détermination (pour s'assurer du respect des grands enjeux nationaux, notamment en matière de solidarité, de mixité et de droit au logement)."
Pour la fondation, les observatoires des loyers représentent un outil incontournable afin de "mieux connaître le marché pour mieux le réguler". Ils peuvent "servir d'outils pour calibrer finement les aides, quartier par quartier", sans nécessairement parler d'encadrement des loyers. Au moins dans un premier temps.
Valérie Liquet
LES 15 IDÉES DE LA FONDATION ABBÉ-PIERRE CONTRE LA CRISE DU LOGEMENT
Idée phare : deux conditions de réussite : un accès direct au logement (et non pas une "récompense" après un parcours sans faute depuis l'hébergement d'urgence) et un accompagnement global. Etre ouvert à toutes les formules : pensions de famille, colocations, formes alternatives d'habitat (péniche, chalet, autoconstruction…).
Idée phare : affirmer les intercommunalités comme autorités organisatrices des attributions. Généraliser la cotation de la demande. Développer la "location choisie".
Idée phare : produire 150.000 HLM par an sous plafond APL. Prolonger l'effort de mutualisation financière entre bailleurs sociaux. Renforcer les aides publiques et voter une loi de programmation pluriannuelle pour le logement social, à la manière de la loi de programmation pour la cohésion sociale de Borloo en 2005.
Idée phare : proposer aux propriétaires bailleurs un "package clé en main" (voir notre article sur le rapport de la "Mission Robert" remis en novembre 2016).
Idée phare : leur ouvrir l'accès et renforcer les services publics de droit commun. Prévoir leur entrée dans les dispositifs d'hébergement, de logement (dans le parc privé par l'intermédiation locative et dans le parc social) et d'accompagnement. Y consacrer des moyens "substantiels".
Idée phare : renforcer la prévention et le traitement de l'impayé au stade pré-judiciaire. Proposer un accompagnement global en décloisonnant les approches sociales, administratives et juridiques. Inventer une "sécurité sociale du logement universelle" (dispositif de garantie des loyers, universel et obligatoire) dans le cadre d'un "new deal des rapports locatifs" où les bailleurs seraient mieux indemnisés et le locataire accéderait sans caution à un logement.
Idée phare : développer l'accompagnement aux droits liés à l'habitat (ADLH). S'inspirer du programme Habiter Mieux. Allier actions incitatives et actions coercitives. Responsabiliser les intercommunalité sur ce champ.
Idée phare : lancer un grand plan de rénovation des passoires énergétiques en augmentant les aides et en prévoyant un meilleur accompagnement des personnes. En attendant, augmenter le montant du "chèque énergie".
Idée phare : rechercher la mixité endogène dans les quartiers de la politique de la ville (inciter les ménages à y rester en poursuivant leur parcours résidentiel). Introduire la mixité sociale dans les quartiers "insensibles".
Idée phare : généraliser le dispositif dans les villes prévu par la loi Alur. Y associer un dispositif fiscal dissuasif, sur le modèle de la "taxe Apparu".
Idée phare : développer une aide à l'accession qui cible les ménages modestes avec une sécurisation "suffisante", notamment en cas d'accident (APL-Accession). Systématiser l'inscription des PSLA dans les PLH et les PLU, puis réserver du foncier en conséquence et définir des conditions de cession pour éviter la spéculation. Développer le bail réel solidaire.
Idée phare : systématiser dans les PLU des règles de densité minimale, en particulier à proximité des transports en commun. Permettre aux collectivités d'instaurer des "zones de mobilisation foncière" dans lesquelles tout propriétaire devra construire dans un délai fixé dans le PLU. Une fois ce délai écoulé, la collectivité pourrait exproprier selon une procédure simplifiée. Instaurer une imposition croissante dans le temps des plus-values foncières issues du classement d'un terrain comme constructible. Intégrer dans les PLH des plafonds de charge foncière permettant à une collectivité de conditionner ses aides à la pierre, pour un programme de construction HLM, à un prix-plafond pour le terrain (afin d'éviter que les aides publiques alimentent l'inflation). Renforcer dans les PLH les "secteurs de mixité sociale" pour garantir dans chaque programme de logements un pourcentage de logements sociaux. Oser les montages innovants visant à modérer le coût du logement neuf : bail emphytéotique, bail à construction, usufruit locatif social, bail réel immobilier, bail réel solidaire, habitat participatif…
Idée phare : élire les élus intercommunaux par suffrage universel direct. Que l'Etat et intercommunalités contractualisent, comme cela a été fait à propos de la délégation des aides à la pierre, sur des sujets comme l'accession à la propriété, l'aide à l'investissement locatif, la lutte contre l'habitat indigne et la précarité énergétique.
Idée phare : réformer les valeurs locatives cadastrales (non réévaluées depuis 1970, alors que c'est sur elles que sont assises la taxe foncière et la taxe d'habitation). Asseoir la TFPB (taxe foncière sur les propriétés non bâties) sur la valeur vénale des terrains pour lutter contre la rétention des terrains constructibles) et imposer de manière croissante dans le temps la plus-value issue de leur vente. Inventer une "contribution de solidarité urbaine" complémentaire à l'article 55 de la loi SRU : elle consisterait à surtaxer les transactions des biens immobiliers les plus chers et affecter les recettes au financement d'actions dans les quartiers populaires et à la construction sociale dans les quartiers "fermés" aux ménages modestes. C'est ce que la fondation appelle : "utiliser la ségrégation par les prix pour mieux la combattre".
Idée phare : mieux utiliser les outils d'investissement européens (BEI, Feder, fonds "Juncker"). La fondation et ses partenaires travaillent à la création d'un "outil mutuel de portage des projets subventionnés par les institutions européennes" pour optimiser l'usage social de ces fonds, rappelant que la France sous-consomme le Feder à hauteur de 30 à 40%, soit 1,5 milliard d'euros par an. Les conseils régionaux étant les autorités de gestion des aides européennes, elle envisage cet outil à l'échelle régionale.