Un personnel « à bout », des locataires en colère, des syndicats mobilisés, des administrateurs qui boycottent le conseil d’administration et attendent un « changement de gouvernance » .Le bailleur social d’Argenteuil-Bezons, Ab-Habitat, est en crise, une « crise de gouvernance ».
L’ex-office, transformé en coopérative en 2016, gère 12 000 logements sociaux.
Environ 120 personnes se sont rassemblées jeudi 23 septembre, devant le siège d’Ab-H, rue Michel-Carré à Bezons, à l’occasion d’un conseil d’administration extraordinaire convoqué par son président, Dominique Lesparre, l’ancien maire (Pc) de Bezons.
Réunion avortée
Une réunion au cours de laquelle devait être entériné le départ du directeur général d’Ab-Habitat, Salah Lounici, en poste depuis 2018 et envers qui les critiques sont nombreuses. Joint par téléphone en juillet dernier, ce dernier refusait d’endosser seul la responsabilité et jugeait que la gouvernance relevait « des membres du conseil d’adminis- tration ».
Faute de quorum, la séance a été ajournée. Seulement six administrateurs étaient présents sur les dix-huit que compte le conseil d’administration. L’assemblée serait reportée « au 11 ou 12 octobre », précise-t-on chez Ab-Habitat.
« On n’est pas là pour couper des têtes », prévient Cécile Sellier, représentante Cgt des salariés. Selon elle, le départ seul du directeur général « ne règlera pas tout. Ce sont des responsabilités partagées ». Elle attend le retour d’un « service public de qualité et de proximité, un changement de cap. Cela fait des mois que nous disons que la gestion est catastrophique ».
Elle dénonce la gestion du personnel. « 30 % du personnel, surtout des cadres, sont partis en trois ans. Ils en ont marre, ils sont à bout. Rien de ce qu’on leur demande de faire n’a fait l’objet de concertation. Ce mode de gestion n’est pas dans la culture et l’histoire d’Ab-Habitat ».
Un bailleur qui souffre de difficultés financières. « La loi Elan nous a imposé d’avoir 12 000 logements. On a dû acquérir du patrimoine et construire vite, sur fonds propres. Les villes d’Argenteuil et Bezons ne garantissent plus nos emprunts et nous mettent en difficulté. »
« C’est une contre-vérité concernant Bezons, dit-on en mairie de Bezons. Nous avons toujours, jusqu’à présent, garanti les emprunts d’Ab-H, dont le dernier en date, le 8 avril 2021, pour 103 logements au 92-102, rue Jean-Jaurès à Bezons. »
Frédéric Faravel, conseiller municipal d’opposition de Bezons (gauche républicaine et socialiste) assure pour sa part que la Ville de Bezons « refuse d’apporter une garantie d’emprunt à Ab-H dans deux dossiers sur trois, risquant par là-même de mettre l’existence même d’Ab-H en péril d’ici le 31/12/2021. »
La mairie d’Argenteuil reconnaît qu’elle ne garantit plus les emprunts d’Ab-H de façon « automatique » comme elle le faisait avant.
Cécile Sellier évoque « le mal-être » des agents. « Ce n’est pas en les déconsidérant, en disant que ce sont tous des brêles que ça va s’améliorer », ajoute la syndicaliste, qui demande aussi une revalorisation salariale.
Du côté des locataires, la colère est palpable. Fouzia Hamhami, directrice de l’association Espace associatif et citoyen de proximité (ex-Atmf), évoque les « dysfonctionnements » qui perdurent dans ses locaux mis à disposition à Argenteuil par le bailleur : les inondations, « l’invasion des mouches avant l’été à cause des canalisations » en passant par le problème du ménage ou l’absence de containers. Face à cela, elle dit ne pas avoir de réponses.
Une cité qui attend
Daniel Hommeau, militant Cgt qui vit à la cité Champagne, attend comme tous les locataires « la réhabilitation depuis sept ans. Les balcons, qui tiennent avec des filins, n’ont toujours pas été remplacés. La cité est au bord du gouffre. On a bénéficié d’une réhabilitation en 1995 et on attend la deuxième. Sur le papier, le projet est super, mais sans cesse remis ».
Dominique Mariette, militant Cgt et Lutte ouvrière, qui a très longtemps vécu à Joliot-Curie, estime que le bailleur « est à la dérive. À Joliot-Curie, des dizaines de logements vides sont disponibles, inoccupés, y compris celui que j’ai quitté, qui a été refait il y a quatre ans. C’est fort de café. »Selon lui, l’entretien de la résidence serait fait par « des gens sans formation ».
Des logements vides
Marcel Carlier, représentant Cnl des locataires, qui tire le signal d’alarme depuis des mois (notre édition du 30 juin 2021), craint que tout cela ne « se termine mal. ». Le président d’Ab-Habitat, Dominique Lesparre, n’a pas donné suite malgré plusieurs sollicitations téléphoniques.
« L’avenir de la coopérative est en jeu »
Seulement six administrateurs, sur les dix-huit que compte le conseil d’administration d’Ab-H, se sont présentés à l’assemblée extraordinaire convoquée jeudi 23 septembre. Parmi les absents, Nessrine Menhaouara, maire (Ps) de Bezons et conseillère départementale, l’ancien maire (Ps) d’Argenteuil Philippe Doucet, le conseiller général (Ps) Nicolas Bougeard, Chantal Colin (Ps), Christine Robion (Ps), Georges Fresneau (Ps) ainsi que le maire (Lr) d’Argenteuil Georges Mothron.
Nessrine Menhaouara a vu dans cette convocation une « manipulation destinée à donner les pleins pouvoirs à un homme qui porte la responsabilité de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons ». « Le problème n’est pas le départ de M. Lounici mais que M. Lesparre avait l’intention de devenir Pdg d’Ab-H, confie-t-on au cabinet de Nessrine Menhaouara, ce qui pose une véritable question car c’est contraire à l’esprit mutualiste ».
Une séance ajournée faute de quorum
Dans un communiqué, les administrateurs socialistes qui ont boycotté la séance dénoncent une « crise majeure de gouvernance », Nessine Menhaouara « un climat délétère », une « crise de confiance ». « L’avenir même de la coopérative est en jeu et c’est inacceptable. » Une situation liée selon elle à « l’incapacité du Président à piloter la coopérative ».
La députée (Lrem) d’Argenteuil-Bezons, Fiona Lazaar, rappelle qu’un rapport de 2016 de l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) pointait déjà « les problèmes anciens de gouvernance et de gestion du bailleur social. » Elle estime qu’ « au-delà de la fonction de Dg, c’est rappelons-le le conseil d’administration, présidé par Dominique Lesparre, qui a la responsabilité de fixer la feuille de route ».
Dans un communiqué, Cécile Dumas, secrétaire départementale du Pcf 95 et conseillère régionale d’Île-de-France, accuse les administrateurs socialistes de faire de la politique. « À quoi joue le Ps avec Ab-Habitat ? Associations de locataires et syndicats de salariés ont ouvert le débat (…) sur l’amélioration des conditions de vie des locataires et des conditions de travail des salariés, des revendications sociales importantes et nécessaires (…) En revanche, on peut se questionner sur la volonté des administrateurs socialistes et apparentés qui ont boycotté le conseil d’administration (…) La fédération du Val-d’Oise du Pcf dénonce l’utilisation d’un outil formidable pour le logement social du territoire d’Argenteuil-Bezons afin de régler de vieilles querelles politiciennes entre le Ps et le Pcf. L’utilisation d’Ab-Habitat par des élus et responsables socialistes pour se lancer dans la bataille politique des législatives est tout simplement lamentable ».