Tension le vendredi 3 juillet 2020 devant le magasin la Foir’fouille de Dieppe : 80 militants CGT tiennent un rassemblement pour dénoncer la mise à pied (qui se transformera en licenciement) d’une salariée. Au cours du rassemblement, des prises de parole sont organisées, elles sont relayées sur la page Facebook de l’union locale (UL) CGT de Rouen. Résultat : lundi 22 mars 2021, tant le responsable de l’UL CGT de Dieppe Mathias Dupuis que celui de Rouen, Handy Barré, sont cités à comparaître devant le tribunal judiciaire pour diffamation.
« Je le précise tout de suite, prévient Handy Barré, la salariée qui a été licenciée est ma compagne. Elle était élue CGT dans ce magasin et le rassemblement qui s’est tenu ce jour-là était la réponse habituelle de la CGT quand un militant est mis en cause. Au cours du rassemblement, le comportement du patron a été mis en cause, les conditions de travail ont été dénoncées ». Le patron de l’union départementale de la CGT, Pascal Morel, ajoute : « Le leitmotiv patron voyou est un slogan largement utilisé dans les manifestations. C’est classique lors d’une prise de parole. »
Problème : le chef d’entreprise - Gwen Le Goff - n’a pas goûté cette mise en cause, n’a pas apprécié non plus sa diffusion sur les réseaux sociaux, et c’est ainsi qu’il a procédé à la citation directe des responsables CGT (ainsi que de l’UL CGT en tant que personne morale) pour diffamation.
« Taper sur la CGT, c’est essayer de terroriser les salariés pour éviter qu’ils ne s’organisent, qu’ils ne se syndiquent », juge Pascal Morel qui voit dans cette affaire un exemple de la « répression syndicale » devenue courante dans les entreprises et notamment dans les TPE au sein desquelles il y a des élections professionnelles cette année. « Ce procès, on le vit comme une forme de harcèlement, de pression envers le personnel ».
C’est pour cette raison, indépendamment de ce que pourrait décider le tribunal judiciaire, que la CGT fait de cette passe d’armes juridique un « temps fort » de l’action syndicale. « Ce lundi nous organisons une manifestation de soutien qui va mobiliser des militants venus des cinq départements normands », détaille Pascal Morel.
Le cortège devrait s’élancer du cours Clemenceau à partir de 11 h pour rejoindre le palais de justice de Rouen où seront organisées des prises de parole. Des cars et des minibus viendront, selon la CGT, du Havre, d’Argentan, de Caen, de l’Orne notamment, sans compter la base militante rouennaise. « Philippe Martinez n’a pas pu se dégager mais serait bien venu. Un membre du bureau confédéral de la CGT sera présent à sa place. D’autres syndicats devraient venir nous manifester leur soutien, il y a aura notamment une délégation de Solidaires. »
Le jugement fera date
Reste l’incertitude judiciaire : au-delà des questions de forme qui pourraient faire annuler l’examen de l’affaire, un jugement de non-lieu donnerait raison aux prises de parole « musclées » constatées lors de rassemblements et pourrait faire jurisprudence. Une décision de culpabilité renforcerait la CGT dans sa conviction qu’elle est l’objet d’une répression syndicale et encouragerait les dirigeants d’entreprise à se tourner vers le tribunal pour régler le niveau d’intensité du « dialogue social ». Mais ce qui est certain, avec cette hypermédiatisation de la procédure, c’est que le dirigeant de la Foir’fouille de Dieppe, qui expliquait en juillet ne pas comprendre l’ampleur prise par l’affaire, qui demande judiciairement la réparation de son image, n’aura sans doute jamais autant vu le nom de son enseigne dans les journaux.