A moins de deux mois de l’entrée en scène, on s’active encore en coulisses. Il faut dire que la grande première a de quoi inquiéter : 6,6 millions de foyers impactés, soit près 13 millions de personnes, entre 16 et 18 milliards d’euros sur la table… les volumes sont énormes. Au 1er janvier 2020, la réforme des aides au logement entrera en vigueur, pour l’ensemble des allocataires. Annoncée de longue date et plusieurs fois repoussée, cette réforme prévoit de calculer les aides personnalisées au logement (APL), les allocations de logement familial (ALF) et les allocations de logement social (ALS) en fonction des revenus de l’année en cours, et non plus sur la base des revenus perçus à l’année n-2, comme c’est encore le cas. Un véritable changement de paradigme.
Cette évolution du mode de calcul, ou “contemporanéisation” dans le jargon, doit permettre “de prendre en compte plus rapidement la ‘vraie’ situation des allocataires, en s’appuyant sur les ressources plus récentes”, justifie le gouvernement, qui défend une mesure de justice. Une prouesse technique rendue possible par la réforme du prélèvement à la source et l’établissement d’une “base ressources mensuelles”, qui centralise les salaires et autres revenus de remplacement (pensions de retraites, allocations chômage, etc.) des allocataires. Grâce à la prise en compte en temps réel des ressources et de leur évolution sur les 12 derniers mois, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) doit pouvoir réactualiser le montant d’aides à verser à chaque allocataire, tous les trimestres.
Inquiétudes sur la situation des jeunes
Si le gouvernement réfute tout calcul budgétaire, la réforme permettra tout de même d’économiser 1,2 milliard d’euros. Selon les chiffres qui circulent, environ 1,2 million d’allocataires devraient ainsi voir le montant de leur aide diminuer et 600.000 pourraient même voir leur prestation supprimée. Pour autant, pas question de parler de perdants. Selon l’exécutif, l’économie serait entièrement due à l’embellie économique et à la baisse du chômage, qui entraînent une augmentation globale des ressources des ménages. Et donc, concomitamment, une baisse des aides. Mais du côté des associations, on s’inquiète néanmoins de l’impact de la réforme sur les publics les plus précaires. “Les économies qui sont inscrites au projet de loi de finances montrent bien qu’il y a une réduction de la voilure sur le budget des APL, estime Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Le gouvernement nous parle des gagnants, parmi les personnes qui verront leurs revenus diminuer et pour qui les aides seront plus rapidement ajustées. C’est très bien, mais il y a 1,2 milliard d’euros d’économies… Où se situent ceux qui vont y perdre” ?
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En l’absence d’étude d’impact, difficile de répondre à cette question. Les premières inquiétudes se portent notamment sur la situation des jeunes et en particulier ceux de moins de 25 ans, qui ne sont pas éligibles aux minima sociaux tels que le RSA et pour qui les APL constituent un véritable filet de sécurité. Dans les conditions actuelles, ces derniers bénéficient d’un montant d’aide stabilisé sur l’année d’ouverture des droits, calculé sur un revenu de référence favorable, leurs ressources en année n-2 étant souvent nulles ou très faibles. Et, pour ceux exerçant un emploi et percevant de petits revenus, un régime dérogatoire à la règle d’évaluation forfaitaire des ressources - un mécanisme censé éviter certains effets d’aubaine, notamment pour les personnes qui ne perçoivent aucune ressource lors de l’année de référence, mais débutent un emploi l’année suivante - permet de toucher une part d’aides, en plus des premiers salaires.
Problème : dans le nouveau système, exit l’évaluation forfaitaire et les exceptions qui y sont associées. Un écueil rapidement identifié par les associations, qui demandent à maintenir un système dérogatoire pour les jeunes, ou de fixer un montant plancher d’aides au logement, comme c’est le cas pour les étudiants. Dans une note transmise à Capital, l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj) a ainsi calculé qu’un jeune isolé de moins de 25 ans entrant dans la vie active avec un revenu autour de 750 euros et payant un loyer de 400 euros touche actuellement 366 euros d’APL. Avec la réforme, et au fil des revalorisations trimestrielles successives de ses aides, il ne percevra plus que 165 euros, au bout d’un an. Son taux d’effort passera alors de 6 à 31% ! Une bien belle source d'économies pour l'État. "Nous sommes très inquiets pour les jeunes qui débutent dans la vie active ou reprennent un emploi qui, du fait de la réforme et de la fin de ce régime dérogatoire, vont assurément perdre des APL, s'alarme Christophe Robert. Ce qui est par ailleurs tout à fait contradictoire avec la logique du gouvernement d'encourager la reprise d'emploi".
Étudiants, retraités et chômeurs épargnés
Si l’avenir des jeunes de moins de 25 ans reste donc très incertain, le gouvernement affirme avoir déjà trouvé une solution pour limiter l’impact auprès du public étudiant. Pour eux, l’évolution des APL en temps réel n’aura aucun effet et ils conserveront un niveau d’aide constant. “Le gouvernement a veillé à ce que le mode de calcul spécifiquement dédié aux étudiants garantisse que les étudiants salariés, qui disposent donc de revenus complémentaires, touchent le même montant d’APL que les étudiants qui ne travaillent pas”, précise le cabinet du ministre du Logement, Julien Denormandie. Pas plus d’information, en revanche, sur la tambouille...
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Les associations familiales s’inquiétaient aussi du sort qui serait réservé aux chômeurs et retraités, qui bénéficient eux aussi de certaines faveurs spécifiques dans le régime actuel. Actuellement, un abattement de 30% sur le revenu de référence leur est accordé, pour le calcul de leur prestation. La question se posait de savoir si ce mécanisme serait conservé. Oui, nous répond le gouvernement, qui rappelle que la réforme ne modifie pas les paramètres de calcul des aides et qui restent ceux applicables aujourd’hui… y compris pour les abattements spécifiques.
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