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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 23:26
SOLIDARITÉ. À MONTREUIL, L’HABITAT DIGNE AU CŒUR DU BRAS DE FER AVEC L’ÉTAT
Lundi, 29 Octobre, 2018

Les travailleurs migrants du foyer Bara, relogés par le maire communiste dans des locaux de l’État, sont menacés d’expulsion par le préfet, mais ne renoncent pas à leur dignité.

Ce vendredi 27 octobre, Jibril Batili et les autres résidents s’affairent à servir les assiettes du mafé (un plat traditionnel d’Afrique de l’Ouest) « solidaire ». Une initiative organisée par les travailleurs immigrés du foyer Bara pour défendre leur droit à un logement digne, sur place, avec le soutien de la municipalité de Montreuil. Au pied de l’immeuble de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) réquisitionné par le maire, Patrice Bessac (PCF), Jibril raconte comment il peut enfin se reposer des journées harassantes passées sur les chantiers de forage où il travaille. Employé par la société Vinci depuis des années, le Malien a quitté le foyer Bara où il tentait de vivre le plus dignement possible depuis vingt-trois ans dans des conditions déplorables. « Je dormais sous le lit d’un autre résident. On se grattait toute la nuit à cause des puces et on était tellement nombreux qu’on ne pouvait presque pas dormir », raconte-t-il. Dans les anciens locaux inoccupés de l’Afpa, appartenant à l’État, il a pu poser ses bagages dans une chambre propre munie de sanitaires.

« Nous avons des devoirs, mais aussi des droits »

Si lui et les 219 autres résidents bénéficient de conditions plus décentes qu’au foyer construit dans une ancienne usine à piano en 1968, ils risquent pourtant d’être expulsés sur ordre du préfet de Seine-Saint-Denis. Après que le maire a pris un arrêté d’extrême urgence, le 26 septembre dernier, pour risque grave de sécurité, rendant le foyer Bara interdit à l’habitation, puis un autre réquisitionnant l’ancien immeuble de l’Afpa, le préfet entend en effet renvoyer les résidents à la case départ. Pour ce faire, il a déjà réclamé la suspension de l’arrêté de réquisition du maire et l’évacuation du site. Le représentant de l’État s’acharne en demandant aussi la suspension de l’arrêté déclarant inhabitable le foyer Bara, avec un nouveau référé. L’audience doit se tenir aujourd’hui à 14 heures. Pour le maire, « l’État, en Seine-Saint-Denis, sous-entend que le foyer Bara serait plus propre à l’habitation que les locaux que nous avons réquisitionnés ». Une situation « insupportable » qui ne peut pas « se régler à coups d’audiences devant les tribunaux ». D’autant que « c’est le rôle du préfet de veiller à la mise en sécurité des habitants du département », renchérit l’adjointe au maire Halima Menhoudj, en charge de la coopération, des solidarités internationales et des populations migrantes.

Sur la scène montée vendredi, Toumany Traoré, représentant des résidents, prend la parole : « Nous sommes des travailleurs, nous avons des devoirs, mais aussi des droits. On ne peut pas être expulsés », lance-t-il sous les applaudissements avant de saluer chaleureusement l’action du maire PCF. Ce laveur de carreaux du musée d’Orsay connaît par cœur l’histoire du foyer, où il a payé son premier loyer en 1980. Il rappelle que, depuis 2013, « il y a un ordre de destruction et de relogement des résidents dans une structure reconstruite ». Mais, depuis, les travailleurs immigrés s’entassent parfois à 10 dans 10 mètres carrés et doivent toujours s’acquitter d’un loyer, certes modeste, à Coallia, société qui exploite les bâtiments sans y réaliser le moindre entretien. « Ce sont devenus des vrais marchands de sommeil », soufflent des résidents. « On a été très touchés par le geste du maire, qui est venu dormir avec nous (la nuit du 20 septembre – NDLR). On s’est enfin sentis considérés », ajoute Seydoumou Simaka. Ce Malien de 27 ans a passé trois ans au foyer Bara, après être rentré en Europe par l’Italie où il a appris et exercé le métier de cariste. Il mesure aujourd’hui le gouffre entre l’enfer qu’il vivait au foyer et le nouveau quotidien dans les locaux de l’Afpa.

« Aujourd’hui, on peut prendre soin de notre santé et surtout dormir »

« À Bara, on ne vit pas. Moi, je dormais sous l’escalier pendant trois ans tellement il n’y avait pas de place. Avec tous les animaux : rats, souris, cafards. Et la nuit, on ne peut pas s’endormir avant que tous dorment tellement il y a du bruit et de la lumière. » Dans son ancienne chambre qu’il fait visiter volontiers, il décrit l’insalubrité, les fissures dans les murs : « Là bas, on ne respire pas. » Un contraste avec les lieux qu’il partage aujourd’hui avec son cousin, qui dormait auparavant dans une des cuisines du foyer : « Je mettais ma natte par terre sur le sol sale, la tête à côté des fourchettes », raconte ce dernier. « Quand on est arrivés, on a tout jeté : nos matelas pleins de puces et nos couvertures », sourit-il, évoquant une nouvelle vie qui commence. « Aujourd’hui, on peut prendre soin de notre santé, se laver et surtout dormir », se réjouit Seydoumou. Le jeune homme mesure le combat du maire, pour ceux qui ont un travail comme pour ceux qui n’en ont pas. « Au foyer Bara, il fallait vider ses poches pour pouvoir manger ou se laver. » Maintenant qu’il a relevé la tête, Seydoumou ne veut pas retourner au foyer. « Certains d’entre nous vont rattraper l’école qu’ils n’ont pas eue et on aura l’esprit plus libre pour travailler », apprécie-t-il. Le préfet va-t-il revenir sur le mépris dont il fait preuve vis-à-vis de ces travailleurs ? Tous l’espèrent. Certains évoquent même, comme un clin d’œil, la signification du mot « bara » en bambara, la langue parlée au Mali : travail.

Olivier Morin
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