La conférence de consensus sur le logement, dont la mission était de travailler sur l’avant-projet de loi Elan (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique), s’est achevée jeudi 8 février dans un climat studieux. Le gouvernement reprendra certaines contributions pour enrichir le texte qu’il transmettra au Conseil d’Etat "d’ici une quinzaine de jours" et qu’il présentera "fin mars" au conseil des ministres. Les contributions sur lesquelles il n’y a pas eu consensus, ou qui méritent une expertise complémentaire, se retrouveront sans doute lors du débat parlementaire qui débutera au "printemps 2018".
Comme Gérard Larcher, les participants de la conférence de consensus Logement attendent maintenant des "effets concrets". Il ne faudrait pas que les cinq réunions thématiques, les interventions des 150 participants, les 150 contributions écrites et les 650 propositions législatives, réglementaires ou opérationnelles (en ligne sur conferenceconsensuslogement.senat.fr) ne s'apparentent à "un colloque de plus, qui aura duré deux mois".
Ce jeudi 8 février, lors de la clôture de la conférence de consensus, le président du Sénat était optimiste. Au moins un message est passé : "Les maires et les élus locaux sont des interlocuteurs que l'Etat doit considérer dans un état d'esprit de partenariat et de confiance." C'était dans cet objectif qu'il avait proposé, en pleine crise sur la réforme des APL et ses conséquences sur le secteur HLM, cette conférence de consensus d'un genre nouveau, rassemblant parlementaires, élus locaux, professionnels, société civile. Acceptée par le président de la République, la conférence avait été lancée le 12 décembre avec mission de débattre de l'avant-projet de loi portant Evolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) dont le contenu allait bien au-delà de la seule réforme du mouvement HLM, puisqu'il est la transcription des mesures législatives de la stratégie logement du gouvernement présentée le 20 septembre dernier.
Le gouvernement va donc reprendre sa copie, a-t-il promis, l'enrichir des contributions qui l'auront convaincu, et soumettre son nouveau texte à l'examen du Conseil d'Etat "d'ici quinze jours", du Conseil national de l'évaluation des normes et des instances consultatives concernées (CNH, CSCEE, CNTGI…). Il sera ensuite arbitré en conseil des ministres, "fin mars", avant d'être engagé dans le débat parlementaire "au printemps".
Un consensus "assez général" sur la stratégie logement
Un document commun au Sénat, à l'Assemblée nationale et au ministère de la Cohésion des territoires, distribué lors de la clôture de la conférence de consensus, assure qu'il y a "un consensus assez général sur la stratégie logement, présentée en septembre par le gouvernement". Il indique les propositions que le gouvernement retiendra pour "améliorer immédiatement" le texte du futur projet de loi. Il s'est ainsi engagé à réduire le nombre d'habilitations à légiférer par voie d'ordonnance par rapport à ce qui était prévu dans l'avant-projet de loi. Ce sera par exemple le cas sur la réforme du secteur Hlm, sur la réquisition d'immeubles de bureaux vacants à des fins d'hébergement d'urgence, sur les agréments des observatoires locaux des loyers...
Concernant la réforme du secteur du logement social, il est acté que le projet de loi comprendra un titre spécifique consacré à "La modernisation du régime des organismes de logement locatif social". Il sera décliné en quatre axes : la réorganisation du tissu des organismes, l'évolution et la simplification du cadre juridique, la mise en place de mesures nouvelles en faveur de l'accession sociale à la propriété et l'évolution de la politique des loyers. Le groupe PS entend déposer un amendement au rapport pour demander une évaluation du premier axe, soupçonnant le gouvernement de "remettre en cause le modèle social et économique Hlm", avait annoncé Annie Guillemot lors d'une conférence de presse précédant la clôture de la conférence de consensus.
Consensus pour "s'appuyer sur les rapprochements d'organismes Hlm"
Le gouvernement s'en défend. Il a rappelé, lors de la conférence, son souhait au contraire d' "une consolidation financière des organismes et du secteur, le maintien de leur capacité d'investissement (financement et maîtrise d'ouvrage) et de production de logements à bas loyers et enfin sur les moyens de rendre leur gestion encore plus efficace (bonne qualité de service et coût de gestion maîtrisé)". Des propositions ont émergé pour y parvenir, "notamment des organismes eux-mêmes". Il y aurait consensus pour "s'appuyer sur les rapprochements d'organismes Hlm, pour leur permettre de mettre en place l'organisation optimale nécessaire dans certains domaines et rationaliser la gestion et l'exploitation locatives". Il pourrait s'agir de fusions d'organismes mais aussi d' "adossement à des groupes d'organismes intégrant des fonctions-clés (orientations stratégiques, investissement, solidarité financière…)". Et ces groupes seront "construits sur la base des initiatives des organismes et sans qu'une solution et un statut uniques ne soient imposés", ainsi que l'avait suggéré la Fédération des offices publics de l'habitat (OPH, voir notre article du 11 janvier 2018).
Ces regroupements devront se faire "sur des bases territoriales cohérentes" (Jacques Mézard n'a jamais caché qu'il souhaitait au moins un organisme par département). Et surtout, tout le monde semble d'accord pour dire que "l'approche par la seule taille des organismes est trop réductrice" et que "cette vision doit être enrichie de critères territoriaux".
Des divergences de point de vue sur les ventes de logements Hlm
Si le développement de l'accession sociale à la propriété fait assez largement consensus, les points de vue divergent quant à son objectif. Les ventes de logements Hlm sont appréciées, car elles contribuent à renforcer la diversification sociale et les opportunités de parcours résidentiel dans les quartiers. Mais l'idée que l'objet des ventes de logements Hlm à leurs locataires soit de dégager des recettes pour compenser la RLS est insupportable à certains. Notamment pour Annie Guillemot, pour qui "on ne peut pas considérer la vente de logements Hlm comme un outil de financement".
Les participants à la conférence ont indiqué que la gestion des copropriétés qui seront ainsi créées devra "être particulièrement accompagnée les premières années" et certains ont suggéré que les bailleurs sociaux pourraient y conserver un rôle prépondérant, en lien avec la fonction de syndic par exemple, pendant les premières années de mise en vente.
En matière d'attribution des logements sociaux et de politique des loyers, l'importance de soutenir la mobilité au sein du parc social semble partagée, entre autres en facilitant les mutations en inter-bailleurs et en inter-contingents. L'idée a aussi été évoquée d'une expérimentation pour la mise en place des nouvelles politiques de loyer (NPL, prévues par la loi Egalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017), portant sur la totalité du parc d'un quartier ou d'une ville. S'agissant de la généralisation du système de cotation, certains ont souligné les risques d'un dispositif "rigide", "déconnecté des réalités territoriales".
Dans le parc privé, l'idée du "bail mobilité", qui propose des locations meublées pour 1 à 10 mois, telle que présentée par le gouvernement n'a pas été très bien accueillie. Il y aurait consensus à demander au gouvernement de resserrer le champ du public ciblé aux seuls travailleurs en mobilité ou en reconversion professionnelle, dans l'esprit initial du dispositif (voir notre article ci-dessous du 14 novembre 2017).
Les participants à la conférence de consensus se sont exprimés en faveur du développement des observatoires des loyers. Ils sont favorables à l'idée de consolider leur fiabilité statistique et de décorréler la fonction d'observation d'une politique d'encadrement des loyers qui demeure, en revanche, non consensuelle.
Tous d'accord pour la simplification des normes
Un "large accord" aurait également été établi sur la "facilitation de l'acte de construire" et la simplification des normes. La conférence de consensus a validé le principe de la réforme sur la façon de simplifier les règles de la construction telle qu'elle est présentée dans le projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance, avec l'idée de "passer d'une logique de moyens à une logique d'objectifs" via ce qu'il est appelé le "permis de faire" (voir notre article du 29 novembre 2017). Etant entendu que "les objectifs de performance et de sécurité fixés dans la règlementation seront maintenus". Des participants ont également fait remarquer que la simplification des normes générera un besoin croissant de contrôle... et donc de possibles coûts supplémentaires pour les pouvoirs publics.
Le principe de la création du dispositif "Grande opération d'urbanisme (GOU)" a été salué. Tout le monde serait d'accord pour faciliter la mise en oeuvre partenariale avec l'Etat d'opérations d'aménagement structurantes à l'initiative des intercommunalités. Mais en veillant bien à "l'équilibre du dispositif, aux modalités d'une articulation suffisante de l'intercommunalité avec l'échelon communal et la pleine intégration de ces projets dans les politiques plus larges développées par l'Etat et les collectivités concernées". Le sénateur PS Marc Daunis alerte même sur "une possible dérive de dépossession des communes".
Unanimité pour libérer le foncier public
Plusieurs propositions ont été formulées pour favoriser la libération du foncier, sans que l'on sache à ce stade si le gouvernement y donnera suite et sous quelle forme. Par exemple : la fixation d'objectifs pluriannuels de cession du foncier et de l'immobilier public pour l'Etat ou encore la "réinterrogation des méthodes d'évaluation domaniale, afin qu'elles soient davantage orientées sur l'économie des projets à réaliser (méthodes de compte à rebours), notamment pour le logement social". A ce titre, les participants à la conférence de consensus voient d'un bon œil le nouvel outil de "projet partenarial d'aménagement" qui devrait "faciliter la cession amiable en bloc du foncier de l'Etat et de ses établissements publics pour permettre de réaliser des projets urbains". Ils ont insisté sur le fait que "le prix de cette cession devra être compatible avec l'économie globale du projet".
Des débats ont eu lieu sur les dispositifs de soutien à l'investissement et à l'accession, avec la demande à l'Etat de produire un rapport d'évaluation sur les dispositifs Pinel et PTZ pour septembre 2018, en vue du débat sur le projet de loi de finances pour 2019. Le principe de révision des zonages est consensuel. Des propositions devraient être approfondies, visant à décentraliser la définition de ces zonages "pour pouvoir mieux prendre en compte les réalités territoriales et les dynamiques opérationnelles locales", y compris dans l'accompagnement des opérations de revitalisation des centres anciens de villes moyennes, en zones détendues.
Au chapitre de la "dynamisation des opérations d'aménagement", tout le monde a appelé à "la simplification et surtout à une meilleure articulation des procédures existantes (urbanisme, environnement…) et des compétences des différents acteurs" afin de diminuer les délais de réalisation des projets. Concrètement, les participants veulent "une meilleure structuration du dialogue via l'instauration d'un mode projet piloté par un référent unique de l'Etat vis-à-vis des porteurs de projets et élus", comme évoqué dans le cadre du projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance.
Rendre le contentieux en urbanisme "plus rapide et plus efficace" : personne n'est contre
En matière de lutte contre les recours abusifs, le principe partagé est de rendre le contentieux en urbanisme "plus rapide et plus efficace, sans être dénaturé ou découragé les requérants de bonne foi, qui pourront toujours s'adresser à la justice", ainsi que le suggère le rapport Maugüé remis le 11 janvier sur le sujet à Jacques Mézard (voir notre article ci-dessous). L'idée partagée est bien d'accélérer les phases contentieuses pour qu'elles ne bloquent plus pendant des années les opérations de constructions nouvelles et dissuadent "ceux qui en profitaient pour soutirer des avantages particuliers aux promoteurs". Il y a ainsi consensus pour que "l'intérêt à agir des requérants soit mieux défini", que les moyens de contentieux soient "désormais automatiquement cristallisés après deux mois", que les juridictions se voient fixer l'objectif de traiter les contentieux "en moins de dix mois", que les régularisations mineures des permis de construire soient plus facilement autorisées…
Le mouvement de digitalisation des secteurs de l'urbanisme, de la construction et de la gestion immobilière ferait "plutôt consensus" parmi les acteurs. En l'occurrence : accès facilité pour les collectivités et observatoires aux données sur les transactions foncières et immobilières, accès dématérialisé aux documents d'urbanisme et mise en place de télé-procédure pour la délivrance des autorisations d'urbanisme dans les grandes métropoles, développement du BIM (modélisation des informations du bâtiment) dans la phase conception puis en maintenance, carnet numérique pour le logement et le bâtiment, bail numérique…
Unanimité pour renforcer la lutte contre les marchands de sommeil
Le renforcement de la lutte contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil fait également l'unanimité. Parmi les propositions évoquées durant la conférence : le renforcement des moyens coercitifs mais aussi des moyens humains et financiers dédiés. Il a aussi été question de la possibilité de transférer à l'EPCI les compétences correspondant aux diverses polices de lutte contre l'habitat indigne mais les modalités précises d'un partage de compétences devront encore être approfondies.
Sur la question du traitement des copropriétés dégradées, le gouvernement proposerait des mesures nouvelles pour simplifier et accélérer les procédures d'exception (opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national, ORCOD-IN), "par exemple en priorisant les relogements des ménages issus de ces ensembles ou en accélérant les procédures d'expropriation lorsqu'elles s'avèrent indispensables pour réaliser des projets d'ensemble". La coordination des services de l'Etat, au niveau national et au niveau local avec les collectivités, serait "renforcée".
Le plan Action coeur de ville salué
Au sujet du plan Action cœur de ville et la création dans ce cadre d'opérations de revitalisation des territoires (ORT), les acteurs ont salué "la pertinence de prendre en compte la transversalité des problèmes à résoudre pour revitaliser les centres-villes de villes moyennes et centres-bourgs" et insisté sur le fait que cette revitalisation "doit être traitée avec l'ensemble des acteurs du territoire (collectivités, État, promoteurs, bailleurs, associations, architectes…) et sur toutes les dimensions (logement, commerce, équipements publics…)".
En revanche, la suppression de l'autorisation de la CDAC (commission départementale d'aménagement commercial ) pour les centres-villes a fait l'objet d'interrogations portant, tant sur sa pertinence pour la revitalisation que sur les risques qu'elle fait peser sur les commerces indépendants et spécialisés de centre-ville.
Plutôt favorable à introduire davantage de régulation de l'offre commerciale autour des villes moyennes, les participants de la conférence de consensus ont globalement affirmé leur préférence pour l'élaboration de solutions à l'échelle territoriale, "notamment intercommunale et inter-EPCI". La question de l'instauration d'un moratoire sur les implantations a fait l'objet d'un débat. Les organisations représentant la grande distribution y étant défavorables (sauf le groupe Auchan), ainsi que la DGE et certains parlementaires. Mais pas forcément les maires. Parmi eux, quelques-uns ont exprimé leur préférence pour un dispositif national, la plupart pour un dispositif local.
Il a également été dit que certaines mesures opérationnelles devront être expertisées, comme l'engagement d'opérations de remembrement urbain pour accroître les surfaces occupées par les commerces "historiques" en centre-ville.
A noter que des participants ont critiqué l'accent mis par le plan sur des villes "à rayonnement régional", estimant que cela "pourrait exclure des petites villes". Ils estiment réducteur le rythme de 20 à 30 villes traitées par an dans le cadre du plan Mézard, alors que, selon eux, "plus de 600 villes sont en difficuté".
L'article 55 de la loi SRU ne sera pas abordé dans le texte du gouvernement
La conférence de consensus a également mis en évidence des positions non convergentes et le besoin d'approfondir le travail collectif sur certains sujets que l'on retrouvera durant le débat parlementaire. La thématique de la mixité sociale et de l'application de l'article 55 de la loi SRU ne faisait pas partie de l'avant-projet de loi du gouvernement. Jacques Mézard a indiqué qu'il n'entendait pas l'introduire : il ne souhaite pas donner le signe que le gouvernement voudrait revenir dessus. Il s'attend toutefois à ce que des amendements soient introduits par des parlementaires visant à répondre aux "contraintes rencontrées par certaines collectivités", en particulier celles nouvellement concernées par le dispositif ( question de l'après-2025, échéance actuelle des objectifs issus de la loi SRU).
Des dispositions ont fait consensus au sein des participants à la conférence, comme l'allongement de la durée de prise en compte des logements sociaux démolis ou vendus dans les décomptes SRU ("le temps que les logements sociaux soient reconstitués").