Naomi, 29 ans, vit avec ses quatre jeunes enfants dans un studio de 28 m² à Argenteuil. « Tout le monde se marche dessus, les enfants font leur devoir sur leur matelas au sol, ils peuvent à peine jouer », racontent-elles au bord des larmes. Et même si elle a été reconnue prioritaire par la loi Dalo (Droit au logement opposable) en juin 2015, cette mère de famille attend toujours un relogement. Depuis sa mise en application dans le département (la loi Dalo a dix ans ce dimanche), 11 400 personnes ont été reconnues « prioritaires urgentes » dans le Val-d’Oise, dont 1 300 cette année.
Or si l’on en croit les associations qui accompagnent les personnes dans la constitution du dossier Dalo, le nombre de mal logés est bien plus élevé. La commission de médiation qui statue sur le caractère prioritaire du relogement a d’ailleurs examiné plus de 6 800 demandes l’année dernière dans le département. Et plus de 47 600 depuis 2008. Or, moins du quart ont été reconnues comme prioritaires.
Le cas du Val-d’Oise a d’ailleurs toujours été particulier. Comparativement au reste de l’Ile-de-France, il a toujours eu un taux de reconnaissance du caractère prioritaire bien inférieur. Soit 19,6 % en 2016 contre près de 29 % sur la région. Taux qui a globalement baissé partout par rapport au début de l’application de la loi Dal
Avec la loi Dalo, les personnes ayant été reconnues prioritaires et n’ayant pas été relogées dans un délai de trois à six mois (selon les départements), peuvent déposer un recours devant le tribunal administratif. Si ce « recours en annulation » est reconnu par le tribunal, la préfecture est condamnée à verser une astreinte chaque mois jusqu’à ce que le ménage soit logé. En 2016, le Val-d’Oise a ainsi été condamné à verser plus d’un million d’euros d’astreinte pour non-relogement ou non-accueil dans les délais, pour plus de 200 dossiers. « Mais cela n’a aucun impact car l’Etat paye à l’Etat », remarque Jean-François le Néen, chargé de mission à la fondation Abbé Pierre.
o. Il était alors de 85 % en Ile-de-France !
Une situation alarmante, qui a poussé des associations du Val-d’Oise à se constituer en comité pour faire pression, « ensemble », auprès des élus locaux et « créer un rapport de forces crédible ». La fondation Abbé Pierre, l’Association pour l’accompagnement et la formation des femmes et des familles, la Fédération des malades et des handicapés 95, l’association des travailleurs Maghrébins et le Souffle à Argenteuil se sont donc réunis, il y a quelques semaines, pour trouver ensemble des solutions à ce « déni de droit ».
« Nous ne comprenons pas pourquoi des gens qui remplissent tous les critères Dalo sont rejetés, parfois plusieurs fois, sans motif valable », s’interroge Antoine-Roger Sala, président de l’association Le Souffle. Pour la fondation Abbé Pierre, la réponse est simple : « La commission de médiation (NDLR : la Comed, chargée d’étudier les dossiers Dalo) n’est pas réellement impartiale. Elle est constituée de membres qui sont eux-mêmes bailleurs ou disposant de logements, et écartent donc d’emblée les dossiers de potentiels futurs mauvais payeurs », détaille Jean-François le Néen. Il dénonce ainsi une « discrimination de ressources » et une « démarche commerciale ».
La Comed 95, elle, explique qu’elle privilégie les procédures de droit commun laissant au Dalo le rôle de recours en dernier lieu. « A défaut de reconnaître prioritaire et urgent, la commission préconise régulièrement des orientations en adéquation avec les situations examinées, qui sont directement prises en charge par le bureau logement », explique-t-on au service compétent de la préfecture. Une décision appuyée, selon eux, par le faible taux d’annulation (inférieur à 10 % en 2016) des décisions de la Comed, lors des recours contentieux auprès du tribunal administratif compétent.
Ce dimanche, les associations du Val-d’Oise se sont jointes au rassemblement place de la République, à Paris, organisé pour le dixième anniversaire de la Loi Dalo.
* Elle est composée d’un président nommé par le préfet et de représentants de l’Etat, du conseil départemental, de l’union des maires du 95, de l’association des organismes HLM de la région, de l’union départementale des associations familiales, de la confédération nationale du logement et de l’union départementale des associations gérant des structures d’hébergement et d’insertion dans le Val-d’Oise.Entrée en vigueur le 5 mars 2007, la loi Dalo permet aux personnes mal logées, ou ayant attendu en vain un logement social pendant un délai anormalement long, de faire valoir leur droit à un logement décent. Ce droit au logement est dit opposable, car les citoyens disposent de voies de recours pour obtenir sa mise en œuvre effective.
Les personnes pouvant être reconnues « prioritaires urgentes » au titre du Dalo doivent être sans aucun logement, menacées d’expulsion, accueillies dans une structure d’hébergement ou logées temporairement. Sont aussi concernées celles vivant dans des locaux impropres à l’habitation, insalubres ou dangereux, dans un local suroccupé ou non décent avec au moins un enfant mineur à charge ou une personne handicapée, ou étant handicapées elles-mêmes.