Ils ont eu presque du mal à croire que la justice leur donnait raison. L’épilogue de cinq ans de mobilisation. Alors, par prudence, ces habitants du quartier des Etangs à Aulnay, ont préféré attendre d’avoir le jugement entre les mains et surtout laisser passer le délai d’appel, pour partager la nouvelle avec leurs voisins.
Le moment est enfin arrivé, au cœur de l’été, d’afficher dans les halls le résultat de la décision de justice. Elle oblige le Logement Francilien, bailleur HLM, à rembourser les locataires.
Depuis la rénovation urbaine (2007-2009), qui a fait tomber les grandes tours de 12 étages, les immeubles résidentialisés affichent une allure proprette. Le cadre de vie s’est amélioré aux Etangs. « Mais les charges ont aussi augmenté. Alors qu’auparavant il arrivait que le Logement Français nous rende de l’argent », résume Mohamed Mehdaoui, qui vit dans le quartier depuis 35 ans et préside l’association de locataires Solid’R. L’association s’est alors rapprochée de la CGL (confédération générale du logement) pour y voir plus clair.
En épluchant les documents, la CGL a pointé des « irrégularités » sur les charges pesant sur les locataires. « On pensait trouver un accord à l’amiable, on était naïfs », estime a posteriori Tarik Laghdiri, le secrétaire de l’association, né aux Etangs. Une tentative de conciliation a échoué. La commission de conciliation s’est pourtant réunie en septembre 2012. Mais un renvoi a eu lieu et le bailleur n’est pas venu.
Un expert doit évaluer le remboursement par foyerLes habitants ont donc passé la vitesse supérieure en saisissant le tribunal d’instance d’Aulnay-sous-Bois, compétent pour les litiges locatifs. Sur près de 500 ménages du quartier, 63 ont soutenu l’action en justice. Et ce sont donc les seuls à bénéficier de la décision de justice. Dans son jugement, rendu le 23 avril, le tribunal condamne le bailleur à restituer aux plaignants les sommes versées en 2012 et 2013 au titre des provisions sur charges pour 2012 et 2013.
Le bailleur devra aussi restituer les sommes versées pour la rémunération des gardiens « dans le sous poste contrat et main-d’œuvre et ménage », tout comme l’argent payé « pour la télésurveillance du poste ascenseur en 2010 et 2011 ». Le tribunal a estimé que ces charges ne faisaient pas parties de celles que le bailleur était en droit de réclamer aux locataires. Le montant des remboursements, par tête, sera connu le 10 décembre. A charge pour un expert, mandaté par le tribunal, de faire les comptes.
Le seul montant déjà fixé est le remboursement de 300 €à chacun des plaignants, pour la procédure engagée, et 1 200 € pour l’association Solid’R, à qui le bailleur doit en outre fournir un local, comme le prévoit la loi. Les autres locataires peuvent assigner le bailleur, mais pour une période qui remonte à trois ans maximum, soit au plus loin, en 2012.
S’agit-il d’une négligence ? Le Logement Francilien qui gère 33 000 logements, a fait savoir qu’il ne souhaitait pas s’exprimer sur ce dossier.
Les litiges entre locataires et propriétaires sont plutôt fréquents, surtout lorsqu’il s’agit des charges. « Souvent, ça se règle devant la commission départementale de conciliation », note l’association d’information sur le logement en Seine-Saint-Denis, l’Adil 93. Cette commission réunit des représentants des bailleurs, sociaux et privés, et ceux des locataires. Concernant les charges, la plupart sont avancées par le bailleur qui les réclame ensuite au locataire sous forme de provisions mensuelles. Ce sont les « charges récupérables »*.
La loi prévoit une régularisation annuelle mais dans les faits, cette régularisation peut intervenir des années plus tard. Ainsi à Sevran, en 2011, la Logirep réclamait 1,3 M€ aux locataires pour les cinq années écoulées. In fine, après mobilisation et soutien de la CNL (confédération nationale du logement), le bailleur a allégé l’ardoise puis passé l’éponge.
Depuis le 27 mars 2014 date de l’entrée en vigueur de la Loi Alur, les propriétaires ont trois ans au maximum (au lieu de cinq) pour régulariser. Idem pour les locataires. Après 3 ans, impossible de contester. « Les locataires ont intérêt à se rapprocher d’associations pour vérifier les décomptes, car ce n’est pas simple d’y voir clair », préconise l’Adil.
Par exemple, le « poste ascenseur » comme celui qui justifiera un remboursement aux Etangs, pose souvent problème. « Car c’est assez complexe, avec plein de petites dépenses, l’entretien, les menus travaux, la télésurveillance et les abonnements liés » note l’Adil.
*Décret n° 87.713 du 26 août 1987