Alors que jusqu’à présent les villes devaient indemniser les loueurs de taudis qu’elles expropriaient, un tribunal vient pour la première fois de conditionner ce paiement au résultat du procès pénal.
«Une grande première et une excellente nouvelle. » L’adjoint PCF au logement de la mairie de Paris, Ian Brossat, s’est réjoui d’une première judiciaire qui devrait faire date dans la lutte contre les marchands de sommeil. Jeudi 26 septembre, le juge des expropriations du tribunal de grande instance de Paris a, pour la première fois, décidé que le versement d’une indemnité à un marchand de sommeil serait conditionné à sa relaxe par le tribunal pénal. L’affaire concerne « le Bien Être », la bien nommée SCI propriétaire d’un immeuble vétuste de la rue Jean-Robert, dans le 18e arrondissement de Paris. Si, à l’issue du procès, elle est déclarée coupable d’avoir soumis des personnes « à des conditions d’hébergement incompatibles à la dignité humaine », la mairie ne sera pas obligée de lui reverser le montant de l’indemnisation qui a été mise sous séquestre. Cela peut paraître aller de soi mais jusqu’à présent, au nom de la primauté du droit de propriété, saisir le bien d’un loueur de taudis pouvait coûter cher. « Je garde en travers de la gorge le cas emblématique de la rue Marx-Dormoy. La Ville de Paris avait alors dû débourser 6,7 millions d’euros pour indemniser le propriétaire », rappelle Ian Brossat.
La fin de l’indemnisation systématique des propriétaires abusifs fait partie de la série de mesures contre les marchands de sommeil inscrite dans la loi Elan. À force d’activisme, le député Stéphane Peu (PCF) avait réussi à faire intégrer un certain nombre de ses propositions dans la loi adoptée à l’automne 2018. Outre l’obligation par le juge de prononcer des sanctions complémentaires, parmi lesquelles la saisie des biens, les impôts sont désormais autorisés à prélever l’équivalent des revenus estimés des loyers, même si ceux-ci n’ont pas été déclarés, et le propriétaire a l’interdiction d’acquérir un nouveau bien immobilier pendant dix ans, au lieu de cinq ans, ou de participer à une vente aux enchères à la suite d’une saisie.
Il faut reloger les locataires
« Malgré la volonté affichée de certains parquets, les procédures pénales restent trop peu nombreuses et beaucoup trop longues », tempère néanmoins Samuel Mouchard, responsable de l’espace solidarité habitat de la Fondation Abbé-Pierre (FAP). Dans le cas du 7, rue Jean-Robert, un premier signalement par la FAP en 2010 était resté sans suite. Après des plaintes de locataires en 2015, d’autres ont été déposées par la FAP et le Comité Action Logement (CAL), et huit arrêtés municipaux d’insalubrité ont été promulgués. La justice a enquêté mais les associations et les locataires attendent encore une date d’audience. La Société de requalification des quartiers anciens (Soreqa), qui vient de prendre possession de l’immeuble au nom de la mairie de Paris, commence tout juste à reloger les locataires. Un processus complexe qui devrait prendre au moins un an. Pendant ce temps, les locataires continuent de vivre dans des conditions indignes. « Il y a des fuites d’eau, de l’humidité, pas de sécurité car la porte ne ferme pas et pas de propreté parce que personne ne vient nettoyer », explique Mme Akmol, qui loge dans un 45 m2 avec son mari et ses quatre enfants pour 810 euros par mois. Ce genre de situations devrait, à terme, se raréfier car la décision du TGI de Paris devrait faire jurisprudence et s’avérer dissuasive. « Il s’agit de mettre fin à au scandale qui permettait aux marchands de sommeil de bénéficier de l’argent public après avoir prospéré sur leurs victimes, résume Ian Brossat. Ceux qui sévissent encore se poseront désormais un peu plus de questions. »