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22 novembre 2018 4 22 /11 /novembre /2018 20:55
JEAN-CLAUDE DRIANT : « LA LOI ELAN RENFORCE LA FINANCIARISATION DU LOGEMENT SOCIAL »
Mercredi, 21 Novembre, 2018

Habitat. Après l’adoption définitive de cette mesure, Jean-Claude Driant, professeur à l’École d’urbanisme de Paris et chercheur au Lab’Urba, revient sur ses origines et ses implications.

La loi Elan promet de relancer la construction pour résoudre la crise du logement. Les mesures prises sont-elles en adéquation avec cet objectif ?

Jean-Claude Driant Toute une partie de cette loi met l’accent sur l’idée de « choc de l’offre ». On y trouve des mesures assez techniques, dont l’objectif est de libérer un peu la capacité de construction, en essayant de réduire le nombre de recours ou d’abaisser les normes. Mais ce n’est pas une approche nouvelle. Construire plus, mieux et moins cher était déjà dans le programme des précédents ministres. Avec, à la clé, de petites mesures techniques, qui vont plutôt dans le bon sens, mais ne permettront pas de résoudre la crise du logement. Car l’idée du choc de l’offre – des constructions neuves nombreuses qui, mécaniquement et rapidement, provoqueraient une baisse des prix – est erronée. L’offre nouvelle joue un rôle important, mais quantitativement marginal. Les bonnes années, il y a 400 000 logements neufs mis sur le marché, mais, à côté, on comptabilise entre 900 000 et 1 million de transactions dans le parc existant, un peu plus de deux millions et demi de ménages qui déménagent et, en tout, un stock de 36 millions de logements. La construction neuve, c’est donc important, mais il ne faut pas se leurrer sur son impact, qui se fait plutôt sentir sur des décennies. Autres questions : que construit-on ? Et où ? La crise du logement touche les grandes agglomérations, pas toute une partie du pays où on trouve, au contraire, des centres-villes qui se dépeuplent et de l’urbanisme périurbain qui n’a pas été maîtrisé. Construire ne peut donc pas être un objectif en soi. Il faut le faire dans les zones où la demande est forte et via des logements abordables. Mais, là encore, attention à ne pas simplifier : les personnes à bas revenus ne vont pas aller forcément dans des logements neufs. Aussi, pour répondre à la crise du logement, il ne faut pas se concentrer sur la construction neuve, mais sur l’ensemble de l’offre. L’enjeu du neuf, c’est plus de générer de la fluidité dans le système que de faire sortir de terre des logements financièrement abordables. Dans ce contexte, même construire du logement intermédiaire peut contribuer à libérer des logements accessibles aux ménages modestes en contribuant à boucher un trou dans une offre locative très polarisée entre un parc social abordable et un parc locatif privé extraordinairement cher.

L’encadrement des loyers, autorisé à titre expérimental dans la loi, est-il un des moyens qui permettraient de faciliter la constitution de ce parc de logements abordables ?

Jean-Claude Driant Si on voulait vraiment appliquer l’encadrement des loyers de manière efficace, il faudrait revenir à la formule de la loi Alur de 2014, qui concernait 28 agglomérations, au lieu d’être dans une logique de volontariat des villes, comme c’est le cas dans la loi Elan. Mais il ne faut pas non plus trop attendre de l’encadrement. Hélas, compte tenu de l’explosion des prix, même la loi Alur venait trop tard. Elle proposait un encadrement qui contribuait à stabiliser des loyers déjà élevés. Aujourd’hui, encadrer les loyers à Paris, c’est accepter des prix dans le secteur privé qui sont déjà extraordinairement élevés et inaccessibles à beaucoup. C’est déjà mieux que les laisser s’envoler, mais cela ne permet pas de réduire le fossé entre logement social et locatif privé. Aller plus loin en passant d’une logique d’encadrement à celle d’un blocage, voire d’une baisse des prix des loyers serait compliqué. Dans un système de droit privé comme le nôtre, des mesures de ce type feraient courir un risque de recul de l’investissement locatif. La difficulté sur l’encadrement, c’est qu’en France, contrairement à d’autres pays où les investisseurs institutionnels sont majoritaires, les propriétaires sont massivement des particuliers. Leur logique économique est d’attendre des revenus. Si on va trop loin en rognant ces revenus, ils risquent de chercher d’autres façons de placer leurs économies. La loi Alur abordait justement cette question de l’encadrement d’une façon nuancée et adaptée pour éviter cet écueil. Mais elle a été cassée par les lobbies de l’immobilier, qui ont une capacité à se faire entendre inversement proportionnelle à leur responsabilité politique.

Les attaques contre le logement social, notamment les ponctions sur les loyers ou les obligations de se constituer en groupe, ne sont-elles pas contradictoires avec le fait de vouloir répondre à la crise du logement ?

Jean-Claude Driant La loi Elan ne repose pas initialement sur la volonté de transformer les politiques du logement, mais sur celle de faire des économies budgétaires. L’histoire a commencé avec les 5 euros de baisse des APL en juillet 2017, jusqu’à une nouvelle réduction de 50 à 60 euros dont le gouvernement a fait peser l’impact sur les bailleurs sociaux en les contraignant à baisser leurs loyers. C’est la réduction de loyer de solidarité (RLS). Mais, comme cette décision a fragilisé le logement social, la loi Elan les oblige à se regrouper et à se réorganiser avec l’idée que cela va les rendre plus forts. Mais toutes ces mesures sont contradictoires avec l’idée qu’il faut continuer à accroître le parc social. L’impact de la RLS, à laquelle s’ajoute le doublement du taux de TVA qui s’applique à la construction de logements sociaux, est déjà palpable. Cette ponction très forte sur les ressources des bailleurs sociaux les a contraints, dès la fin de 2017, à ralentir leurs investissements. Et la tendance s’accélère en 2018, on en verra sans doute les effets dans les programmes lancés en 2019 et 2020. On devrait donc être confronté à plusieurs années de ralentissement de l’investissement, à la fois dans les constructions neuves et dans l’amélioration du parc, y compris dans le secteur des améliorations énergétiques qui, pourtant, apporte des baisses de charges importantes pour les locataires.

Face à la fragilisation du secteur, la loi Elan encourage la vente de logements sociaux. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Claude Driant Nous ne sommes plus face à un discours idéologique sur l’accession à la propriété comme à l’époque de Sarkozy, mais dans une posture plus pragmatique. L’argumentation du gouvernement, c’est de dire que la vente d’un logement permet de dégager les fonds propres pour en construire trois. Sur des grands chiffres moyens nationaux, ce calcul se confirme. En moyenne, vendre un logement social génère 80 000 euros net, quand les bailleurs mettent entre 20 et 25 000 euros de fonds propres pour construire un logement neuf. Mais, en matière de logement, la moyenne n’existe pas. La faisabilité et l’utilité d’une vente diffèrent d’un endroit à l’autre. Dans les zones où les prix du marché sont bas et où il y a déjà des logements vacants, trouver des acheteurs risque d’être compliqué. Et, dans les zones tendues comme à Paris, là où on a le plus besoin d’investir mais où les prix sont les plus élevés, la vente de logements HLM pose aussi des problèmes. D’abord, même avec 20 à 30 % de décote par rapport au prix du marché, quand ce dernier est à 8 000 ou 9 000 euros du mètre carré, on ne voit pas quel locataire du parc HLM pourra devenir propriétaire. Ensuite, vendre avec une décote de 30 % va détériorer la capacité des bailleurs sociaux à réinvestir dans la même ville puisque leurs coûts – foncier et construction – sont ceux du marché. Du coup, s’ils ne vendent pas au prix du marché, ils ne pourront pas reconstruire dans les proportions mises en avant par le gouvernement. Vendre pose aussi un problème éthique. Au bout de cinq ans, les clauses antispéculatives sont levées et l’acquéreur, qui a acheté son logement social, peut le vendre au prix du marché. On ne voit pas, dans ces conditions, ce qui justifie qu’on lui fasse un cadeau sur l’acquisition d’un bien financé avec de l’argent public sur lequel il pourra, ensuite, faire une grosse plus-value. C’est injuste par rapport à une personne accédant à la propriété hors logement social et qui est confrontée à des biens plus chers et à des perspectives de plus-values plus réduites. Pour autant, je ne crois pas que l’accélération des ventes voulues dans la loi Elan conduise à une forte réduction du parc social, notamment dans les zones tendues. Il semble que ça ne soit l’objectif ni du gouvernement ni des bailleurs sociaux. Ces derniers restent, surtout dans le secteur privé du logement social, dans des logiques de croissance de leur patrimoine.

Est-ce que derrière les économies budgétaires ne se cache pas une financiarisation du secteur ?

Jean-Claude Driant Il y a bien une financiarisation du secteur, mais ce n’est pas nouveau. En fait, avec la loi Elan, le gouvernement entérine des évolutions largement en cours depuis quinze à vingt ans du côté du secteur privé du logement social. La transformation d’Action logement (ex-1 % logement), qui devient un acteur généraliste du logement, pour lequel le logement social n’est plus qu’une activité parmi d’autres, illustre ce changement. Beaucoup d’entreprises sociales pour l’habitat sont depuis longtemps déjà dans une logique de constitution de grand groupe, qui soit avant tout un propriétaire immobilier, mais qui diversifie ses activités en y ajoutant, par exemple, la vente ou la construction de logements intermédiaires, voire les services de gestionnaire de copropriété ou même ceux de l’accession à la propriété par le biais de collaboration avec des filiales de coopératives d’HLM. Dans ce contexte, la question qui va se poser est de savoir si les fonds propres générés par ces groupes vont continuer à aller mécaniquement au financement du logement social, ou s’ils vont servir à rémunérer d’autres activités, voire, à terme, des actionnaires.

Cette financiarisation du secteur du logement social a été rendue nécessaire par la baisse des subventions de l’État, surtout à partir du début des années 2000. Le recul des aides directes à la production à partir de cette époque a contraint tous les bailleurs sociaux – alors que, jusque-là, seulement les plus riches d’entre eux le faisaient – à mobiliser de l’autofinancement, c’est-à-dire à réinvestir dans la construction et la rénovation les fonds générés par les loyers. Cela a été d’autant plus facile pour l’État de leur demander cet effort que leur patrimoine construit dans les années 1960-1970, sur lequel ils avaient fini de rembourser leurs dettes, ne générait plus que des rentrées. La RLS et la loi Elan s’inscrivent dans la continuité de cette logique. En s’autorisant à prendre une partie de l’argent généré par les loyers et en contraignant les bailleurs sociaux à se regrouper et à vendre, elles renforcent et accentuent des tendances déjà à l’œuvre.

Entretien réalisé par Camille Bauer
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