La grande régression est finalement arrivée. Ce vendredi 1er juin, les députés ont voté l'adoption d'une mesure phare de la loi Elan (Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique): la diminution du quota obligatoire de logements neufs accessibles aux handicapés, qui passe de 100% à ... 10%. Les protestations de l'opposition (de gauche comme de droite), des associations de personnes handicapées et du défenseur des droits n'y auront donc rien fait : le processus enclenché par Emmanuel Macron en septembre 2017, qui annonçait vouloir réduire les "normes qui relèvent de très bons sentiments", est arrivé à son terme.
Le raisonnement du gouvernement est simple : jusqu'à présent, tout nouveau logement devait être construit de manière à être accessible aux handicapés. D'après l'exécutif, cette réglementation dissuadait les promoteurs de construire, et faisait partie des causes de la crise du logement en France. L'idée est donc de substituer à "l'accessibilité", considérée comme dogmatique et peu flexible chez les macronistes, la notion "d'adaptabilité" : 10% seulement des nouveaux logements devront être aux normes handicapés mais les 90% restants seront censés être "évolutifs" et pouvoir être rendus accessibles grâce à des travaux simples.
Cette vision se heurte à plusieurs écueils. Tout d'abord, celui du nombre : le quota de logements accessibles, par définition, ne s'applique qu'aux habitations neuves, qui représentent... 1% du parc immobilier français. En construisant seulement 10% de nouveaux logements accessibles, le gouvernement réduit un peu plus un stock d'habitations ouvertes aux handicapés déjà largement grevé par les destructions de barres d'immeubles équipées d'ascenseurs dans les années 2000. En avril dernier, Christian François, administrateur de l’Association nationale pour l’intégration des personnes handicapées moteur (ANPHIM), calculait pour Marianne que la loi Elan se traduirait "dans le parc social par la création anecdotique de 2.300 appartements accessibles par an. Soit un appartement HLM accessible pour… 30.000 habitants".
D'éventuelles contreparties à ce recul, comme la diminution du seuil à partir duquel la construction d'un ascenseur devient obligatoire, ont toutes été rejetées par les députés de la majorité. Ceci alors que la société française est confrontée au vieillissement de la population... et à l'explosion potentielle du nombre de personnes à mobilité réduite, devant bénéficier de logements aménagés.
Deuxième faiblesse du projet gouvernemental : le flou qui règne autour de la notion d'adaptabilité. Si Roland Lescure, président macroniste de la commission des Affaires économiques au palais Bourbon, s'est félicité du passage "de la taille unique au sur-mesure", ce n'est pas vraiment l'avis des associations d'handicapés. D'une part, les indications concrètes d'évolutivité restent trop vagues. D'autre part, la notion se heurte au poids du réel : si plusieurs personnes sont candidates pour un logement, comment imaginer qu'un bailleur choisira le locataire handicapé dont le logement nécessite des travaux ? Et si l'occupant d'une habitation est victime d'un accident le rendant handicapé, où sera-t-il logé le temps que les travaux aient lieu, si seulement 10% de logements accessibles sont construits chaque année ?
La loi Elan dénoncée par le Défenseur des droits
Le virage du gouvernement vers une "société d'inclusion" vanté par le secrétaire d'Etat Julien Denormandie ressemble plutôt à une marche arrière. C'est en tout cas un avis partagé dans toutes les nuances de l'opposition : de la France insoumise au Front national - désormais Rassemblement national - en passant par Les Républicains, les députés non-membres de la majorité ont dénoncé le projet de loi Elan. Les associations ont également tenu un discours musclé. Le Comité pour le droit au travail des handicapés et l'égalité des droits (CDTHED) a évoqué un "recul sans précédent", tandis que l'ANPHIM a qualifié le projet "d'absurdité sociale".
Beaucoup voient dans le texte final une victoire des promoteurs immobiliers, très actifs dans le lobbying auprès des parlementaires. Plusieurs associations affirment que la loi Elan est contraire à la convention internationale des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la France, qui proclame le droit à choisir librement son lieu de vie. Un avis semble-t-il partagé par le Défenseur des droits, Jacques Toubon. En avril dernier, avant le vote du texte, il estimait le projet "totalement contraire au droit" et susceptible de "remettre en cause l'accessibilité universelle".