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31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 15:55
Christine Leconte : « La loi Elan, une menace sur le logement public »
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CAMILLE BAUER
MARDI, 20 MARS, 2018
L'HUMANITÉ
Christine Leconte, présidente de l’ordre des architectes d’Île-de-France (Croaif). Photo : Karine Smadja
Christine Leconte, présidente de l’ordre des architectes d’Île-de-France (Croaif). Photo : Karine Smadja

Habitat. Christine Leconte revient sur les raisons de l’opposition des architectes au projet de loi logement du gouvernement.

Vous reprochez au projet de loi Elan de menacer la qualité du futur bâti. Pourquoi ?

Christine Leconte Parce qu’il va faciliter un retour à des erreurs passées : préfabrication à outrance, standardisation, manque de transparence de l’utilisation de l’argent public. Un des points d’alerte est la sortie des bailleurs sociaux de la loi MOP (relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée) et donc l’affranchissement de l’obligation d’organiser des concours d’architecture pour la conception de leurs bâtiments et le suivi du chantier. Il ne s’agit pas de corporatisme. La loi MOP garantit la qualité du bâti dans la commande publique. Le risque est de voir le secteur public perdre en qualité, comme on l’a observé dans le privé. Là, les promoteurs font souvent des plans types de plus en plus standardisés, qu’ils nous imposent. La différence se fait sur l’image de synthèse des façades vendue aux clients. Les usages, l’espace, la lumière naturelle et tout ce qui fait le confort des habitants sont laissés de côté. Est-ce cela que nous voulons pour la production de logement social en France ?

Plus concrètement, pouvez-vous illustrer cette baisse de la qualité que vous constatez déjà ?

Christine Leconte Il y a d’abord une perte d’espace. En dix ans, par exemple, un trois-pièces a perdu 15 à 20 % de sa surface. On a vu apparaître des chambres où on ne peut plus changer la place du lit, des pièces exiguës. Le manque d’espace génère la décohabitation, donc le besoin de logements. Il y a aussi le problème de la qualité des matériaux et de leur mise en œuvre en l’absence d’architecte. On peut mettre, par exemple, un plastique gris à la place du zinc. L’aspect sera le même, mais sur le long terme, c’est une catastrophe. On assiste aussi à la fin des logements traversants, qui permettent une aération naturelle. La lumière du jour est moins utilisée, notamment dans les espaces collectifs, qui sont sacrifiés. Le privé prétend que les normes sont trop contraignantes et obligent à faire des économies sur certains postes. Mais il s’agit en réalité de gagner sur la rentabilité de l’opération. Entre l’architecte qui conçoit, l’entreprise qui construit et l’acheteur, il y a toute une série d’intermédiaires qui font augmenter le coût d’achat global et l’inconfort pour l’habitant.

Cette question de la qualité peut apparaître comme secondaire par rapport à l’urgence de construire des logements. Pourquoi n’est-ce pas le cas ?

Christine Leconte Parce que cette négligence a un coût. Moins on met d’argent dans la construction et la conception, plus on en mettra dans la réhabilitation, la rénovation et l’entretien. C’est un calcul simple. Quand un ménage s’endette pour acheter déjà très cher et que, au bout de sept à huit ans, il est déjà confronté à un premier ravalement parce qu’on s’est contenté de mettre un enduit de mauvaise qualité sur des façades exposées, il voit son taux d’endettement exploser. C’est la même chose pour l’État. En disant qu’on va construire plus vite, on reproduit les erreurs du passé. La question à se poser n’est pas celle du coût de construction mais du coût global de la politique du logement en France. Or, l’État dépense depuis des années des milliards d’euros dans la rénovation urbaine et énergétique des bâtis mal faits d’hier. Les économies d’aujourd’hui sont les dépenses publiques de demain.

D’autres solutions existent-elles pour construire moins cher, tout en respectant la qualité ?

Christine Leconte. Nous partageons la volonté du président de la République de faire plus et plus vite. Mais n’oublions pas le mieux ! Il y a d’autres méthodes que de baisser les exigences en matière de qualité. Le premier élément est de mobiliser le foncier, notamment public, dont le coût est souvent un frein au montage de projets immobiliers. Il faut aussi un cadre réglementaire qui réduise les marges dans le privé : le logement n’est pas un produit économique comme un autre. Enfin, il faut corréler construction et réhabilitation. On a quand même près de 3 millions de logements vides en France. Dans cette logique, il faut appliquer au privé les fondamentaux de la loi MOP. Mettre l’accent sur la qualité pour que cette nouvelle loi puisse être un levier permettant de travailler sur les filières courtes et la production de matériaux adaptés. Il y a là un énorme potentiel économique qui n’a pas été exploré. En travaillant sur ces complémentarités, sur le travail en réseau, on retrouvera un tissu économique qui permettra de rééquilibrer l’emploi, le logement et les spécificités de chacun. L’architecture et l’urbanisme ne sont pas un frein, mais un levier économique facteur d’emplois qui conditionne notre qualité de vie.

 
Journaliste rubrique Société
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