"Un coup de massue portée au logement social." C'est ainsi que les offices publics de l'habitat (OPH) perçoivent la décision de baisser les loyers du parc social, afin de baisser d'autant les dépenses de l'Etat en aides personnelle au logement (APL). Quant aux contreparties proposées par le gouvernement, elles sont "inexistantes, anecdotiques, mensongères ou à effet à moyen/long terme" et constituent "un rideau de fumée". Alain Cacheux ne mâchait pas ses mots, mardi 19 septembre, veille de la présentation du plan Logement au ministère de la Cohésion des territoires. Après une dernière réunion la veille au ministère de la Cohésion sociale, le président de la Fédération des offices publics de l'habitat savait que la partie était perdue.
"Il n'y a pas eu de négociation"
"Nous avons essayé de convaincre les pouvoirs publics de l'aberration de telles mesures mais nous n'y sommes pas parvenus", expliquait-il aux journalistes. En réalité, "il n'y a pas eu de négociation", estime-t-il, "nous avons été mené en bateau". Exprimant toute à la fois sa "colère" et sa "consternation", il dénonce "l'arrogance de Bercy et le mépris envers le monde HLM". Désormais, "nous entendons faire juge l'opinion" a-t-il déclaré.
Il avait d'ailleurs convié dans la salle de presse les associations de locataires (CLCV, CNL, CGL, CSF, FO Consommateur) toutes aussi remontées, toutes aussi persuadées que se vit un moment historique : "La remise en cause du modèle français du logement social, la remise en cause de 110 ans d'histoire", selon les mots de Jean-Yves Mano, aujourd'hui président de la CLCV, autrefois adjoint au maire de Paris Bertrand Delanoë chargé du logement, ex-sénateur de Paris. Les associations sortaient juste d'une réunion au ministère, où il leur avait été dit que le projet de loi de finances était bouclé. Ils ne savaient pas, entre 50 et 60 euros, quel montant de baisse d'APL était finalement arbitré.
Sur 256 OPH, 98 offices seraient "dans le rouge" avec un autofinancement négatif
La Fédération des OPH a opté, dans ses simulations, pour l'hypothèse la plus basse de 50 euros de baisse de loyers pour les 1,3 million de locataires APLisés logés dans leur parc. "Cela signifierait, dès 2018, une perte de 685 millions d'euros de recettes". Sur 256 OPH, 98 offices (représentant 31% du patrimoine) seraient "dans le rouge" avec un autofinancement négatif, 135 OPH auraient un autofinancement inférieur à 2% (soit 48% du patrimoine) et 175 auraient un autofinancement inférieur à 5% (seuil de fragilité reconnu des organismes d’HLM par la Caisse des Dépôts et la Caisse de garantie de logement locatif social/CGLLS).
"La chute brutale de l’autofinancement aura pour conséquence immédiate une baisse spectaculaire des projets engagés en 2018", alerte la Fédération des OPH. Une perspective dont "les maires n'ont pas pris la mesure", observe avec inquiétude Yves Nédélec, directeur général de Seine-Saint-Denis Habitat. "Il y aura alors un ralentissement brutal des projets de constructions neuves, en particulier de logements très sociaux. On notera aussi un ralentissement tout aussi brutal de la réhabilitation, notamment énergétique. Il y aura enfin une compression sans précédent des crédits d’entretien et de réparation du parc existant", prédit Alain Cacheux.
Une perte de 685 millions d’euros de recette par an, soit 70% de l’autofinancement cumulé
Car les OPH, ce sont 9 milliards de loyers par an (hors parkings, commerces...), dont 3,4 milliards d’APL et 980 millions d’autofinancement dégagés par l’exploitation, "intégralement réinvestis dans le logement social", insiste la Fédération. Les OPH investissent ainsi 8 milliards chaque année en construction, réhabilitation et gros travaux. La réduction de loyer de 50 euros par mois représenterait une perte de recettes (et donc d’autofinancement) de 685 millions d’euros par an soit 70% de l’autofinancement cumulé des offices en 2015 qui est de 980 millions d'euros. Les OPH commencent à faire leurs calculs. Seine-Saint-Denis Habitat serait "totalement privé de capacité d'autofinancement, soit 8 à 10 millions d'euros par an, ce qui représente un mois de loyer de l'ensemble de ses locataires", sachant que 50% de ses locataires sont APLisés.
Marcel Rogemont, président de Neotoa, l'OPH d'Ille-et-Vilaine, calcule que cela lui ferait 12 millions d'euros de moins de recette, soit exactement "ce que je dégage d'autofinancement". Pour Reims Habitat, la perte de 2,7 millions d'euros équivaut à 73% de son autofinancement et "la remise en cause de notre plan de stratégie patrimoniale", témoigne son directeur général Patrick Baudet. "Nous devons nous engager sur les conventions d'utilité sociale (CUS), je ne sais pas ce que je vais présenter à mes élus, je ne sais plus dans quel monde on est, je pose le stylo", ajoute-t-il.
La Fédération des OPH se fait le relais, sur son site internet, de la mobilisation montante de ses adhérents, notamment dans la presse.
Une mesure injuste qui ne s'applique qu'au parc HLM "alors que les loyers y sont encadrés"
Pour Alain Cacheux, la mesure est triplement injuste. D'abord, "elle s’applique uniquement au monde HLM, alors que les loyers y sont encadrés, et ne concerne pas le parc privé, pourtant principal responsable de la flambée des loyers". Ensuite, les OPH seraient d'autant plus lourdement touchés qu'ils auraient eu "une politique généreuse à l'égard de leurs locataires en difficultés", en pratiquant des loyers modérés. Et cela "en réponse à la demande insistante des pouvoirs publics depuis 10 ans". Ce n'est pas anodin quand on sait que près des deux tiers du patrimoine des OPH ont des loyers inférieurs aux plafonds fixés pour le calcul des APL et que sept locataires des offices sur dix ont des revenus proches ou inférieurs au seuil de pauvreté. "Ce n'est pas la même chose de perdre 50 euros sur un loyer moyen de 350 euros que sur un loyer moyen de 450 euros", résume Alain Cacheux. Mais tout cela recouvre des réalités très différentes : en moyenne 54% de locataires des OPH bénéficient de l’APL, mais selon les offices, ce pourcentage va de 30% à 70%.
Enfin, pour les OPH situés dans des territoires détendus, cela signifierait "l'arrêt brutal de tous les projets de construction neuve, en particulier de celle de logement très sociaux qui nécessitent davantage de fonds propres, et l'arrêt brutal des projets de réhabilitation, notamment de rénovation énergétique". Sans compter que "vous n'empêcherez pas un certain nombre d'offices, le couteau sous la gorge, de diminuer de manière drastique les travaux de réhabilitation et de gros entretiens".
Des contreparties jugées "dérisoires"
S’agissant du gel du taux du livret A, "il n’aura d’effet, très minime d’ailleurs, que dans deux ans alors que la baisse des loyers est instantanée", estime la Fédération. De plus, "beaucoup d’organismes ont déjà renégocié le rallongement de leur dette avec la Caisse des Dépôts". Les marges de renégociation se chiffreraient "en milliers d’euros, peut-être quelques millions".
Quant à l’éventualité d’un surloyer augmenté, Alain Cacheux dénonce "une pseudo-compensation d’autant plus dérisoire que 85% des montants des surloyers doivent être versés au fonds national des aides à la pierre (Fnap)".
Concernant la solution de la vente du patrimoine, "serpent de mer" de la politique de logement, elle ne produirait "d’effet significatif qu’à 3 ou 5 ans". Marcel Rougemont n'entend pas "vendre les bijoux de famille", par exemple ceux situés dans le centre-ville de Rennes et qui participent à la mixité sociale exigée par les élus locaux. Car, d'après lui, seuls ces biens-là sont "vendables".
Le spectre de la copropriété dégradée
Le sujet se pose encore différemment en Seine-Saint-Denis. Selon Yves Nédélec, il serait "impensable de vendre car nous produirions immédiatement des copropriétés dégradées, alors même que nous sommes engagés aux côtés de l'Etat dans leur résorption, comme à Clichy-sous-Bois".
A noter que Jean-Yves Mano alerte sur la "structure dédiée" que le ministère voudrait créer avec Action Logement et l'USH, destinée à acheter "en bloc" des logements dans le parc social, pour les revendre aux occupants, avec un objectif de doubler le nombre de ventes dès 2018 et de le porter à 40.000 par an "à moyen terme", contre 8.000 aujourd'hui (voir notre article du 20 septembre). Le président de la CLCV croit y voir la volonté de constituer "une foncière dont la mission sera d'acheter en bloc du patrimoine public pour le revendre ensuite à la découpe".