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Seine Saint-Denis. Un bailleur social assigne l’Etat en justice pour la sécurité de ses locataires
ADRIEN ROUCHALEOU
MARDI, 8 NOVEMBRE, 2016
HUMANITE.FR
L’office public Plaine commune habitat poursuit le préfet de Seine-Saint-Denis qui a refusé des renforts de police, alors que la situation devient invivable pour les habitants de certaines cités.
C’est une procédure inédite qu’a lancé l’office public Plaine commune habitat en assignant l’Etat devant le tribunal administratif pour « rupture d’égalité ». Le bailleur social de Seine-Saint-Denis reproche aux pouvoirs publics leurs insuffisances face aux graves problèmes de sécurité qui frappent certaines des résidences dont elle est propriétaire.
Des problèmes principalement liés aux trafics de stupéfiants, mais qui explosent et dégénèrent de plus en plus régulièrement en actes de violence. Le 21 août dernier, deux enfants de 9 et 12 ans étaient blessés par deux balles perdues dans un règlement de compte, alors qu’ils rentraient tranquillement chez eux accompagnés de leur mère dans la cité Pablo Neruda de Saint-Denis. « Il ne se passe pas quinze jours sans qu’il y ait des tirs d’armes à feu », s’alarme Stéphane Peu, le président de Plaine commune habitat. « Il y a une dizaine d’années, 80% des courriers que nous recevions concernaient des problèmes d’ordre technique. Aujourd’hui, 80% des courriers sont relatifs à des problèmes de sécurité. Et l’an passé, ce n’est pas moins d’une vingtaine de salariés de Plaine commune habitat qui a fait l’objet d’agressions plus ou moins graves. »
Avant d’en arriver aux tribunaux, il y a eu de nombreuses sollicitations adressées aux services de l’Etat. « Mais nos interpellations ne font plus l’objet de réponse », regrette Stéphane Peu. Jusqu’à une mise en demeure adressée au préfet le 19 septembre dernier, l’enjoignant de porter à 500 les effectifs de police sur le territoire. C’est le refus du préfet de donner suite à cette requête que l’office public espère voir cassée par le tribunal administratif.
« La sécurité, c’est une chaîne de responsabilité où chacun doit apporter une contribution », estime Stéphane Peu. Lui affirme que Plaine commune habitat fait plus que sa part : vidéoprotection, résidentialisation, sécurisation des accès, création d’un service dédié à la sécurité en interne, avec recrutements à la clé… En tout, entre 1,5 et 2 millions d’euros chaque année sont consacrés par Plaine commune habitat à la sécurité de ses locataires et de ses personnels. « Surtout, nous n’avons jamais opté pour le retrait du personnel de proximité ou pour déléguer la sécurité à des sociétés extérieures », rappelle le président de l’office. Mais pour ce personnel de proximité aussi, la situation devient insupportable : « Parmi les jeunes en cause, il y en a toujours au moins un que l’on connaît, que l’on a vu grandir, explique Mimoun M’Barki, gardien d’immeuble et représentant du personnel. Notre position est floue : les jeunes pensent que nous sommes des balances, la police pense que nous sommes des complices. »
Face à cette réalité « le refus d’augmenter les effectifs de la police nationale relève de l’erreur manifeste d’appréciation », estime Maître Didier Seban, l’avocat de Plaine commune habitat qui déplore « l’absence totale de transparence sur les effectifs de police ». « Chaque année, quand on se plaint, on nous répond que vingt ou trente agents viennent d’être nommés. Mais on ne nous dit jamais le nombre de départ… » Or, dans ce département, les agents de police demandent souvent très vite à être mutés ailleurs. L’avocat estime que les effectifs des forces de l’ordre en Seine-Saint-Denis stagnent quand dans le même temps la population ne cesse d’augmenter. « En dépit des affirmations du préfet, il y a deux fois moins de policiers par habitants que dans le 18ème arrondissement de Paris », affirme Stéphane Peu.
« Il y a une maltraitance des quartiers populaires dans ce pays, notamment sur les questions de sécurité », estime Plaine commune habitat. Une maltraitance qui relève pour l’office public de la discrimination. « Dans certains quartiers comme le Franc-Moisin à Saint-Denis, le chômage des jeunes atteint 50% ; plus de 30% de nos locataires ont plus de 60 ans, nous avons une grande proportion de familles monoparentales, de gens qui vivent avec des petits salaires. Bien évidemment, le caractère modeste de la population la rend plus vulnérable, plus fragile qu’une autre. » Côté locataires, « nous sommes derrière notre bailleur dans cette initiative » affirme Christian Trigory le président de l’amicale des locataires qui a voté en conseil d’administration un soutien à la démarche.
Dans ces territoires, cette discrimination par les pouvoirs publics est d’ailleurs « valable sur tous les piliers des missions régaliennes de l’Etat : éducation, santé publique et sécurité », juge Stéphane Peu. Quand la commune de la Courneuve (sur le territoire de laquelle Plaine communs habitat possède des logements, notamment ceux de la cité des 4000) avait saisi le défenseur des droits pour « discrimination territoriale », celui-ci lui avait donné raison. De quoi laisser espérer à Plaine commune habitat que le tribunal administratif se range à son tour à cet avis, ce qui permettrait à l’office public d’enfin pouvoir remplir les obligations que la loi lui fait : assurer aux locataires la jouissance paisible de leurs logements et protéger la sécurité des salariés.