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27 janvier 2020 1 27 /01 /janvier /2020 13:44
L’ÉTUDE D’IMPACT BIAISÉE ET DES SIMULATIONS TRONQUÉES
Lundi, 27 Janvier, 2020

Le Conseil d’état est la plus haute juridiction administrative fran çaise. Nicolas Messyasz / sipa

Le gouvernement voulait effacer toute opposition à son projet grâce à des cas types et une démonstration limpide. Le collectif Nos retraites et des syndicats dénoncent « une étude truquée » en livrant une contre-analyse.

 

Elle était censée clarifier et préciser les conséquences de l’application de la réforme des retraites pour les assurés : l’étude d’impact produite vendredi par le gouvernement est pourtant loin de dissiper toutes les zones d’ombre du projet de loi présenté en Conseil des ministres le même jour. « Contrairement à ce que ne cesse d’avancer le gouvernement, ce nouveau système n’est ni lisible ni simple », estime Régis Mezzasalma, conseiller confédéral en charge des retraites à la CGT. « Cela fait plus d’un an que FO a demandé au gouvernement de produire des simulations de l’effet de son projet, comparé à la situation dans le cadre du système actuel de retraite. Non seulement ces simulations n’ont pas été produites, mais l’étude des impacts par grande catégorie ne permet nullement de comparer les situations individuelles », fustige de son côté Force ouvrière (FO). Pire, les projections fournies par l’exécutif seraient « volontairement (trompeuses) », accuse le collectif Nos retraites, en masquant les paramètres les plus défavorables du système à points.

1 Un âge d’équilibre artificiellement neutralisé

C’est l’une des manœuvres centrales qui permet au gouvernement de présenter 21 de ses 28 cas types de simulation comme étant favorables aux futurs pensionnés par rapport au système actuel. Dans sa démonstration, l’étude d’impact gèle à 65 ans l’âge d’équilibre auquel les assurés pourront partir sans décote, et ce, quelle que soit leur génération. Un choix méthodologique qui biaise fortement les résultats des simulations, puisque le projet de loi précise bien que cet âge d’équilibre – fixé à 65 ans pour la génération 1975 – a vocation à être repoussé proportionnellement à l’allongement de l’espérance de vie. Dans le cas des cotisants nés en 1990, cette borne à atteindre pour obtenir une pension sans décote devrait dépasser 66 ans. En réintégrant ce paramètre, le collectif Nos retraites a recalculé l’effet de la réforme sur les 28 cas types présentés par le gouvernement. Résultat : 18 cas sur 28 seraient en réalité perdants par le biais des effets de décote.

« Par ailleurs, d’autres paramètres biaisent fortement les cas types présentés en faveur de la réforme. Parmi les choix recensés, faire commencer toutes les carrières à 22 ans – des salarié·e·s au Smic aux cadres, quel que soit le niveau de qualification – est incohérent, d’une part, avec la réalité des carrières actuelles et, d’autre part, avec les conventions du Conseil d’orientation des retrait es (COR). Ce choix fait complètement disparaître un des principaux effets de la réforme : le passage d’une logique de durée (annuités) à une logique d’âge (âge d’équilibre), qui pénalise les personnes qui ont commencé à travailler avant 22 ans », analyse le collectif Nos retraites.

2 Perte de pension pour les employé.e.s

Exemple de l’effet biaisé par le gouvernement par son utilisation d’un âge pivot fixe quelles que soient les générations concernées : la dissimulation des inégalités entre employés et cadres supérieurs. Le système universel par points ferait des retraités les plus modestes « les grands gagnants de la réforme », assure le gouvernement, qui dans son étude d’impact met en scène des simulations choisies : selon elles, les pensions des 25 % de retraités les plus modestes seront supérieures de 30 % par rapport au système actuel.

En vantant une pension minimum égale à 85 % du Smic en 2025, le gouvernement démontre dans son étude qu’un ex-salarié, né en 1980 et toujours rémunéré au Smic, verrait sa pension augmenter de 65 euros brut par mois. Information biaisée encore par ce faux âge pivot fixe, affirme le collectif Nos retraites. « Dans le système à points, les employé·e·s perdent beaucoup plus que les cadres supérieur·e·s. » Pour le collectif, dès la génération 1980, le cadre finissant sa carrière avec un salaire de plus de 10 000 euros brut mensuels gagnerait à la réforme Macron, quel que soit son âge de départ. Mieux, il « bénéficierait très fortement d’un départ à 67 ans (+ 18 % de pension, soit + 957,75 euros) ».

Au contraire, le schéma s’inverse pour un employé né en 1980 : il ne bénéficierait de la réforme qu’en liquidant ses droits à 66 ans. Avant, ce serait 4,5 % de pension perdus en partant à 62 ans, et 7 % de moins par rapport au système actuel pour le départ d’un employé de la génération 1990. « Cette comparaison met en évidence que le système proposé n’est pas aussi redistributif que le gouvernement le laisse entendre », concluent les experts du collectif Nos retraites.

3 Fonctionnaires, une situation pas claire

Le collectif Nos retraites reprend dans l’étude d’impact officielle le cas type d’une agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (Atsem). Si, dans la version officielle, la fonctionnaire née en 1990 préserve sa pension en partant à 62 ans, elle voit sa retraite augmenter de 174 euros par mois avec un départ à 67 ans. Absolument faux, conteste le collectif : « En réalité, cet agent connaîtrait des pertes de pension pour tout départ avant 67 ans, allant jusqu’à – 7,15 % pour un départ à 62 ans (– 98 euros par mois). » La raison : là encore, la prise en compte du véritable âge pivot et donc des vrais taux de décote… Dans la fonction publique, « compte tenu de l’effort de convergence à fournir, la mise en place du système universel devra toutefois prendre en compte la situation spécifique de certains secteurs professionnels », avance l’étude d’impact, qui reconnaît qu’inclure désormais les primes dans le calcul de la retraite des fonctionnaires aura peu d’impact dans certains métiers comme les professeurs de l’éducation nationale et les chercheurs, car les primes y sont faibles. Le projet de loi prévoyait donc une revalorisation salariale après concertation avec les enseignants et le personnel de la recherche. Or le Conseil d’État estime que cette « injonction » n’est pas conforme à la Constitution…

4 Les mères, grandes perdantes

Le collectif Nos retraites s’était fondé sur une version provisoire de l’étude d’impact pour dénoncer les inégalités femmes-hommes accentuées par la réforme. « Une femme, née en 1990 (au Smic, deux enfants), qui part à 62 ans, perdra ainsi 15 % de ses droits par rapport au système actuel », analysait-il. Vendredi, le journal le Parisien utilisait lui aussi cette version pour avancer en titre « Les mères loin d’être gagnantes ». L’article démontrait que « le système universel sera clairement pénalisant si elles prennent leur retraite avant 65 ans ». En prenant leur retraite entre 62 et 65 ans, les mères de famille de deux enfants risquaient de perdre de 50 à 300 euros par mois. Que leur carrière soit complète ou interrompue. Or, dans la version définitive de l’étude d’impact officielle parue plus tard dans la journée, aucune simulation ne faisait plus référence à une mère de famille… Un élément de plus qui alimente les craintes d’une réforme accroissant les inégalités, loin de faire des femmes « les grandes gagnantes » du nouveau système. Le syndicat FO a lui aussi réagi en constatant que « les mêmes formules fausses sont reprises, comme celles mettant sur le compte du système de retraite actuel l’écart de niveau de pension des femmes vis-à-vis de celui des hommes, alors que cette réalité est la conséquence des inégalités dans l’emploi que subissent les femmes (bas salaires, inégalités de salaires et de carrières, temps partiel subi) ».

5 Un budget inférieur à 14 % du PIB

La règle d’or budgétaire prend des allures de plomb dans les projections du gouvernement. Non seulement le budget consacré aux retraites ne dépassera pas 14 %, mais celui-ci devrait même passer sous la barre des 13 % en 2050. « Avec un nombre de retraités qui va augmenter, si l’on voulait maintenir le montant des pensions, il faudrait au minimum maintenir la part du PIB consacrée aux retraites dans le cadre d’une augmentation des richesses produites », pointe Régis Mezzasalma. « Cette réforme consiste à accompagner la dégradation du niveau de pension et à décourager les salariés de partir trop tôt pour avoir à les assurer moins longtemps », ajoute le conseiller confédéral CGT en charge des retraites.

Kareen Janselme et Loan Nguyen

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