Près de 4 400 congressistes et trois fois plus de visiteurs se sont retrouvés, du 9 au 11 octobre, à Marseille, au 79e Congrès des HLM [habitations à loyer modéré], dans une ambiance assez morose dominée par les questions financières. « La situation est grave, a alerté Jean-Louis Dumont, président de l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère les 694 organismes HLM. Le mouvement HLM travaille, mais il est inquiet car jamais les menaces qui planent sur nous n’ont été aussi fortes. »
Depuis la loi de finances de 2018, les coupes budgétaires s’enchaînent, à hauteur de 1,5 milliard d’euros par an, privant les bailleurs sociaux de 8 % de leurs recettes et fragilisant leur équilibre économique. « Avec une telle ponction, le système ne fonctionne plus », constate Marianne Louis, directrice générale de l’USH, qui espère que le gouvernement atténuera ce traitement de choc après les négociations prévues en fin d’année. « Nous sommes des acteurs qui voyons à très long terme, présents sur tout le territoire où nous apportons de la stabilité et de la sécurité », rappelle Mme Louis. « Nous sommes victimes de notre bonne gestion, de notre santé financière, analyse Thierry Debrand, président du conseil social de l’USH. Grâce à elles, nous avons pourtant répondu présent, en 2008, en pleine crise, lorsqu’il a fallu racheter30 000 logements aux promoteurs pour les sauver de la faillite. »
Le premier risque de cette perte de moyens est de geler les investissements et de faire chuter la production de logements sociaux, alors que la liste des demandeurs dépasse désormais, en France, deux millions de candidats, soit 10 % de plus qu’en 2017. « On sent déjà que les bailleurs sociaux sont en mode prudence alors que nous devons, au titre de la loi solidarité et renouvellement urbain, construire des logements sociaux sous peine de sanctions financières, observe Arlette Fructus, adjointe au maire chargée du logement à Marseille. Nous sommes en pleine injonction paradoxale. »
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Signes de faiblesse
Des signes de faiblesse dans la création de logements sociaux apparaissent déjà : 2016, une des meilleures années, avait vu programmer128 000 logements, puis 113 000 en 2017 et, selon les premiers indicateurs, à peine 100 000 en 2018. La chute n’est pas terminée, puisque la Caisse des dépôts anticipe, dans une étude publiée à l’occasion de ce congrès, une détérioration sévère de la santé financière des organismes HLM et, d’ici à vingt ans, une chute de 38 % de leur production de logements.
Ce rapport fait pourtant l’hypothèse d’efforts soutenus pour contenir les charges d’exploitation, d’un doublement du nombre de logements vendus pour se procurer de l’argent frais et d’une aide constante de la Caisse des dépôts pour alléger les mensualités des crédits. « Dans vingt ans, c’est loin… Qui s’en soucie ? », commente, fataliste, Dominique Hoorens, le spécialiste des finances de l’USH. « On est en train de ruiner les HLM et, in fine, ce sont les locataires qui paieront », résume Frédéric Ragueneau, directeur de l’organisme coopératif Les Habitations populaires, à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Les locataires semblent, en tout cas, les grands oubliés de cette réforme. Certains bailleurs sociaux lésinent déjà sur l’entretien des cages d’escaliers, d’autres, comme Hauts-de-Seine Habitat, à Clichy-sur-Seine, se lancent sans prévenir dans la vente de logements : « C’est en voyant débarquer le géomètre que nous avons appris que l’immeuble serait vendu à la découpe, témoigne Robert Crémieux, représentant de l’association de locataires, affiliée à la Confédération syndicale des familles à Clichy-sur-Seine. Nous, vieux locataires, on ne compte pas. Le bailleur ne nous répond plus et se défausse sur la nouvelle copropriété. »
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« A contre-courant de l’Europe »
« La France est à contre-courant de l’Europe, car même la Commission européenne reconnaît que le manque de logements abordables est le principal facteur d’accroissement de la pauvreté », plaide Cédric Van Styvendael, président de l’Organisation européenne des bailleurs sociaux Housing Europea. La chancelière allemande, Angela Merkel, vient, elle, d’annoncer un plan massif de 5,7 milliards d’euros sur trois ans pour construire des logements abordables. Au Royaume-Uni, la première ministre, Theresa May, met sur la table 2 milliards de livres par an pour relancer le logement social.
L’autre volet de la réforme, la création de grandes entités regroupant au moins 12 000 logements sociaux, favorise l’émergence de mastodontes, tel que CDC Habitat qui fusionne 13 de ses filiales HLM en un ensemble de 480 000 logements. « Nous étions 42 administrateurs locataires élus, nous ne serons plus, le 1er janvier prochain, que trois, sans doute centralisés à Paris. C’est un affaiblissement sans précédent de la représentation des locataires », proteste Serge Ostric, locataire et administrateur du Nouveau Logis provençal.
En concluant le congrès, Julien Denormandie, secrétaire d’Etat à la cohésion des territoires, a souhaité rassurer : « Je suis, comme vous, très attaché au modèle du logement social français, mais nous pouvons l’améliorer. » Il s’est engagé, « lors de notre clause de revoyure fin 2018-début 2019, à ce que nous trouvions des voies et moyens pour atteindre les économies attendues en 2020 ». Ses propos ont été écoutés dans un silence résigné, sans applaudissements, contrastant avec la bronca et les sifflets de colère entendus en 2017.
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