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16 août 2017 3 16 /08 /août /2017 11:10
Délocalisation. Semperit met la gomme
CÉCILE ROUSSEAU
LUNDI, 14 AOÛT, 2017
L'HUMANITÉ
Il y a des commandes mais le siège les délocalise bien que l’entreprise bénéficie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). Photo Bruno Levesque/IP3/MAXPPP
Il y a des commandes mais le siège les délocalise bien que l’entreprise bénéficie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). Photo Bruno Levesque/IP3/MAXPPP
 

Les 88 salariés de l’usine d’Argenteuil (Val-d’Oise) se battent pour ne pas voir fermer ce haut lieu de la culture ouvrière, dont la production est transférée en Pologne et en Chine.

Les braises de la révolte sont ardentes chez Semperit. Chaque semaine, au mois de juillet, les ouvriers ont organisé « les jeudis de la colère », avec banderoles et braseros, devant leur usine d’Argenteuil (Val-d’Oise). Il faut dire que la période estivale a démarré par un coup de bambou. Le 30 juin, ils ont appris lors d’un comité d’entreprise extraordinaire que ce site de fabrication de bandes transporteuses (tapis roulants) pour les mines était condamné et leur activité, délocalisée en Pologne. La surprise a été d’autant plus grande pour les 88 salariés et sous-traitants que, deux mois plus tôt, Sempertrans France Belting Technology (SFBT), filiale du groupe autrichien Semperit, leur tenait un tout autre discours. « Le directeur avait fait notre apologie, disant que tout allait bien, que notre activité était très spécifique, comme nous produisons des bandes haut de gamme », s’agace Daniel Issaadi, secrétaire administratif CGT du CE. Avant de lâcher : « À part Dassault, il n’y en a plus des usines comme ça dans la ville, on a donc décidé de ne pas rester les deux pieds dans le même sabot. »

L’onde de choc passée, les employés ont enfilé leurs tee-shirts sérigraphiés « Non aux licenciements boursiers » et ont bloqué tous les jeudis la zone industrielle. Autour du barbecue où fumaient des merguez, la solidarité s’est attisée. Des élus communistes, de la France insoumise, de Lutte ouvrière et des salariés des entreprises aux alentours ont afflué en soutien.

Mise au ban de la manufacture

Si la direction évoque une surcapacité de production pour tenter de justifier sa décision, pour les syndicats CGT et FO, c’est bien elle qui a orchestré la lente mort du dernier atelier de ce type en France. Comme le constate, amer, Hassan Abbadi, délégué syndical CGT : « Ça faisait un moment qu’il n’y avait plus d’investissements, plus de remplacements des personnes parties en retraite, par contre, on voyait les chefs qualité partir vers les usines du groupe à l’étranger pour leur transmettre notre savoir-faire, notre technologie. » Chacun a en tête une anecdote sur le dépouillement progressif de ses attributions : « Je revois encore un responsable prendre une photo de mes outils pour faire fabriquer les mêmes en Chine, il y a quatre ou cinq ans, se remémore Cherif Hammane, délégué du personnel CGT et chef de presse depuis dix-huit ans. Quand je lui posais des questions, il nous disait de ne pas nous inquiéter, mais ils ont fini par nous pousser à notre perte ! » La mise au ban de la manufacture est aussi un crève-cœur pour Daniel Issaadi, qui y a usé ses bleus de travail pendant quarante-trois ans. « Il y a des commandes, mais le siège ne nous les donne pas, il les transfère en Chine et en Pologne alors que nous touchons le Cice (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). »

Pour baisser le rideau, le groupe autrichien n’a pas hésité à également invoquer le maintien de sa compétitivité. Des propos qui restent en travers de la gorge des salariés au vu des 15 millions de dividendes versés en 2016. D’autant plus qu’il y a quelques années Semperit n’avait pas hésité à investir 40 millions d’euros dans son usine de Pologne pour y construire une extension de 8 000 tonnes de production, soit le volume de celle d’Argenteuil… « Les syndicats polonais nous soutiennent dans notre combat. Mais là-bas les chefs de presse sont payés 650 euros par mois, on ne peut pas rivaliser », souligne Cherif Hammane.

Tous refusent de tourner la page d’une histoire industrielle presque séculaire. À l’origine, un centre de réparation pour locomotives était niché sous ses poutres. Puis la marque de pneumatiques et de caoutchouc manufacturé Kléber-Colombes a pris ses quartiers dans les années 1950, l’activité a ensuite continué sous l’égide de Michelin, avant que l’entreprise ne soit rachetée à la fin des années 1980 par le groupe autrichien Semperit, également leader mondial du gant médical.

Des décennies d’ancienneté

Au milieu du bruit assourdissant et des émanations de caoutchouc vulcanisé (processus chimique pour rendre un matériau plus élastique), plusieurs générations d’ouvriers se sont croisées. Des familles entières ont lié leur sort à celle de la fabrique. « Ce qui m’a le plus attristé, c’est la réaction de mon fils de 22 ans, il m’a dit : “Tu te rends compte mon grand-père et mes deux arrière-grands-parents aussi ont travaillé ici” », s’émeut Cherif Hammane. Si les corps cassés par le boulot physique sont légion, pour ces forçats avec des décennies d’ancienneté au compteur, pas question de renoncer. « Malgré mon dos bousillé, je veux juste finir ma carrière », souligne Hassan Abbadi, entré en 1992 sur les traces de son père. « Les maladies professionnelles sont nombreuses, mais on veut garder notre travail, on a des crédits à payer », renchérit Cherif Hammane.

Plus que jamais remontés, les salariés ont déjà réussi à faire reculer le géant autrichien. La direction, qui voulait entamer immédiatement la procédure de plan social malgré la fermeture de l’usine en août, a dû prendre son mal en patience. « On l’a repoussé, à chaque réunion on a claqué la porte, on ne veut pas en entendre parler », tranche Hassan Abbadi. Semperit devra aussi répondre de ses actes devant la justice. Le groupe a été assigné devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour défaut de consultation annuelle du comité d’entreprise sur l’orientation stratégique, une obligation légale depuis 2015. Le délibéré sera rendu le 30 août. Les employés, eux, sont déjà prêts à remettre la gomme à la rentrée. 

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