Votée en 2000, la loi SRU impose, sous peine d’amende, un quota de 20 % de logements accessibles aux moins riches. Mais de nombreuses villes continuent de préférer la sanction à la construction.
Vue générale des toits de Paris. (© AFP Dominique Faget)
Même les lois n’échappent pas à la dictature de la notoriété qui sied à notre époque. La loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), dont on fête le dixième anniversaire, est l’une des plus connues du corpus législatif. Votée le 13 décembre 2000, elle doit sa popularité à son article 55, qui impose aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) un quota de 20% de logements sociaux, rapporté au nombre de résidences principales. «Cet article focalise l’attention car il a une portée sociétale très forte. Il dit le refus de toute discrimination en matière de politique de l’habitat», décrypte Thierry Repentin (lire ci-dessus), sénateur PS de Savoie et à l’époque membre du cabinet de Louis Besson, le secrétaire d’Etat au Logement de Jospin qui avait élaboré et défendu ce texte.
Épouvantail. Mais, dix ans plus tard, nombre de villes continuent d’ignorer «la SRU», comme on l’appelle. Elles traînent des pieds pour construire des logements sociaux. La pression des habitants, qui sont autant d’électeurs, dissuade les élus. Pis : dans certaines villes, les projets existent, les terrains à bâtir sont identifiés. Mais les permis de construire sont bloqués par des recours du voisinage. Des habitants se structurent en associations et saisissent les tribunaux administratifs pour ensabler les projets. A Paris, près de 400 logements sociaux sont ainsi bloqués dans le XVIe arrondissement. Des phénomènes analogues sont observés dans des petites communes résidentielles de la banlieue lyonnaise (lire page 4).
Les villes déficitaires en logement sociaux disposaient de vingt ans pour rattraper leur retard et atteindre le quota de 20%de HLM à l’horizon 2022. Mais plutôt que de s’activer, nombre d’entre elles alignent les années blanches. Selon un décompte réalisé par Libération, pas moins de 351 communes sur les 931 soumises à la loi SRU n’ont construit aucune HLM en 2009 ! Ces situations sont souvent le fait de communes de moins de 5 000 habitants, où le logement social demeure un épouvantail électoral.
Des résistances s’observent aussi dans des communes beaucoup plus grandes. Y compris dans des régions en butte à une grave crise du logement et où les loyers sont au zénith : Paca, Ile-de-France, métropoles régionales… Là où il y aurait nécessité absolue de construire, des élus renâclent. De nombreuses communes résidentielles de la région parisienne n’ont financé aucun logement social en 2009 : Chevreuse, Croissy-sur-Seine, Le Vésinet, Saclay, Vaucresson, Saint-Mandé, Viroflay… Idem au Cannet, ville de 42 000 habitants des Alpes-Maritimes qui n’a plus rien financé depuis… 2005. Zéro réalisation en cinq ans alors que la commune ne compte que 7,1% de HLM. Depuis 2002, date d’entrée en vigueur de la loi SRU, 177 logements sociaux y ont été construits, alors qu’il aurait fallu en réaliser 1 174 «Cet objectif n’est pas possible à tenir, proteste Daniel Segatori, directeur général des services de la ville. Le Cannet a un territoire très réduit. On a ici la plus forte densité de population de tout le département des Alpes-Maritimes. Nous n’avons pas de terrains à bâtir.» Des arguments entendus ailleurs et que répètent en boucle les élus des communes réfractaires à la loi SRU.
Volonté. Mais Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) ou Paris prouvent que ces difficultés sont surmontables avec un peu de volonté politque. Elles aussi font face à une grave pénurie foncière. Elles aussi ont une forte densité de population. Pourtant, les deux villes tiennent leurs objectifs. «Pour surmonter le manque de terrains, nous achetons des immeubles existants, explique Eric Berdoati, député-maire (UMP) de Saint-Cloud. Récemment, un immeuble locatif de 38 logements appartenant à un assureur a été racheté et transformé en logements sociaux.» La commune impose aussi un minimum de 25% de HLM dans toute opération de promoteur.
Même politique à Paris. Dans la capitale, le taux de HLM - qui était de 13% en 2002 - approche aujourd’hui les 18%. De son côté, Saint-Cloud est passé de 10 à près de 16%.«J’explique aux habitants que nous en avons besoin pour loger les infirmières de notre hôpital, les fonctionnaires municipaux, les personnes au service du troisième âge ou nos jeunes qui débutent dans la vie active», dit Eric Berdoati.
Selon les décomptes nationaux, un tiers des 120 000 logements sociaux financés en 2009 l’ont été dans des communes loi SRU. Si la plupart des petites localités ignorent la loi, les grandes villes, elles, dépassent souvent leurs objectifs de rattrapage, comme le démontre le tableau ci-contre portant sur la période 2002-2009, reconstitué à partir de données que Libération s’est procurées. Dans ces communes, où les besoins sont énormes, la loi SRU a servi de levier à la construction de logements HLM, mais aussi pour les étudiants et les personnes âgées, tous comptés dans le quota des 20%.
Thierry Repentin, président de l’Union sociale pour l’habitat :
Sénateur PS de Savoie, Thierry Repentin a été élu en 2008 président de l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère le mouvement HLM.
Les plus filous contournent l’esprit de la loi SRU, dont l’objectif était qu’aucune commune n’exclue de familles aux revenus modestes. Pour respecter le plan de rattrapage, ils se sont lancés dans la construction de résidences étudiantes ou de personnes âgées, inclues dans la catégorie «logement social». C’est le cas d’Eric Raoult, maire du Raincy et ex-ministre du Logement. Construire des résidences étudiantes, c’est bien, mais elles doivent s’ajouter aux logements des familles à faibles revenus, pas les remplacer…
Certaines n’ont pas construit un seul logement social ces trois dernières années. Parce que c’est payant électoralement : les élus veulent choisir leur population, leurs électeurs. Comme si certaines familles étaient plus dignes que d’autres de vivre sur leur commune. Pourtant, ces villes ne pourraient vivre sans cette force de travail. Les agents des services municipaux, les femmes de ménages, les ouvriers sont assez bien pour apporter leur force de travail à ces communes, mais pas assez pour être leurs citoyens. Ne pas respecter la loi, c’est aussi financièrement avantageux : le niveau de la contribution de solidarité - je ne veux pas dire «l’amende» - est si faible [sur une base de 152 euros par logement manquant, ndlr] qu’on a tout intérêt à la payer plutôt que d’accepter une opération de logement social bien plus coûteuse. Non seulement la collectivité locale devra en financer la construction (vu le prix du foncier, plus aucune construction de logement social ne se fait sans subvention des collectivités locales), mais elle devra également subventionner les services mis en place au quotidien pour les familles défavorisées : le paiement des cantines, l’entrée à la piscine parfois… L’égoïsme est de loin le moins coûteux.
Déjà, en utilisant les outils qui existent : la loi prévoit que le préfet peut se substituer aux communes pour construire des logements sociaux, mais cela n’est jamais arrivé. S’il le faisait dans dix communes - cinq de droite et cinq de gauche - et qu’il le médiatisait, cela aurait un effet décisif. Les maires ne voudraient pas assumer devant leurs contribuables un tel camouflet. Il faudra aussi augmenter les pénalités et le pourcentage à atteindre : dans un pays où 65% de la population est éligible au logement social, où le déficit est déjà de 600 000 logements, un objectif de 20% est insuffisant. On pourrait le monter à 25% et le préfet pourrait fixer, dans certains bassins d’emplois où on trouve beaucoup de bas salaires, fixer un pourcentage allant jusqu’à 30% par exemple. Mais la loi de finance votée la semaine dernière acte que le budget consacré aux logements sociaux passera de 630 millions d’euros à 500 en 2011, 450 en 2012, et 400 en 2013.