Dans le centre-ville de Nice, Anissa vit dans un deux-pièces avec son mari et ses trois enfants. Répandue en France, cette situation de suroccupation engendre promiscuité et nervosité.
Mal-logement : «On est tous toujours collés»
Anissa referme la porte derrière elle, cherche une place où poser les vestes et propose des chaussons. Puis elle s’excuse. Pour les enfants qui dorment encore dans la chambre, pour la manie de la plus petite «à mettre le bazar», pour son mari parti travailler. Surtout pour les étagères qui débordent, le linge encore dans la panière et les chaussures posées en équilibre sur l’escabeau. C’est qu’Anissa, son mari Mohamed et ses trois enfants Seifedine, Hamza et Delya (13, 10 et 2 ans) vivent dans un deux-pièces. Ils partagent un appartement du centre-ville de Nice devenu, au fil des années, synonyme de précarité et de promiscuité.
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Cinq dans 52 m2
Anissa et ses deux grands garçons emménagent au rez-de-chaussée de cette résidence du quartier de la Libération en 2009. En instance de divorce et au RSA, la Niçoise de 32 ans dort sur le sofa du salon et laisse la chambre à ses enfants. «Je paye 703 euros avec les charges. Mon frère s’était porté garant pour cette location dans le parc privé. Pour une mère célibataire, ça allait», soutient-elle. Un an plus tard, Anissa rencontre Mohamed. Elle devient agent dans une crèche de la métropole Nice-Côte d’Azur, se remarie en 2014 et donne naissance à la petite Delya en 2016.
Désormais, ils sont cinq dans 52 m2. Et tout devient plus compliqué. Le bébé dort dans la chambre, à côté de ses deux frères qui partagent le lit double ainsi que d’Anissa qui a «choisi le lit superposé du bas pour régler les problèmes de dos». Sur le matelas du haut s’entassent les vêtements. Au-dessus des placards, le linge de maison. Sous les lits, encore des vêtements. «Ça déborde. Je suis toujours en train de ranger et de jongler entre les affaires», dit Anissa. Dans le salon-cuisine, un matelas fin se cache derrière le canapé. C’est là que dort Mohamed, peintre en bâtiment, «pour ne pas déranger» sa femme et ses enfants quand il se lève tôt pour partir sur les chantiers. «Dans l’appartement, niveau intimité, c’est zéro. On est tous toujours collés. On ne peut pas se changer dans la chambre, ni lire quand d’autres regardent la télé. On est obligés d’avoir le même rythme, de se coucher à la même heure»,raconte-t-elle. Chez Anissa, tout le monde va au lit au plus tard à 22 heures. «On vit tout en famille. Notre intimité de couple, on peut se la mettre derrière l’oreille. Ce sera pour plus tard. Quand je veux parler en tête à tête avec mon mari, on va dans la voiture.»
Pourtant, Anissa aime son appartement, pas insalubre et bien situé. Elle s’est appliquée à faire une «déco baroque» avec un luminaire à branches, des tapis gris au sol, du noir et des paillettes sur les murs. Mais «trop à l’étroit», Anissa n’invite jamais ses amis, ne propose pas aux copains de ses enfants de venir goûter. «Je fais toujours les anniversaires dehors. Pour le grand et la petite qui sont nés au printemps, c’est pratique, fait-elle remarquer. Mais Hamza ne peut pas faire de fête parce qu’il est né en décembre. Parfois, il en pleure. C’est très difficile.» Difficile aussi le retour des après-midi passés chez les copains : «Quand ils reviennent, ils sont dépités. Ils s’énervent même. Ils me disent : "Je voudrais une chambre, un bureau, une étagère à moi."» En 5e et en CM2, les deux frères font leurs devoirs sur le lit. «Ailleurs, c’est compliqué. Il y a du bruit et ma petite sœur touche les feuilles et les cahiers», pointe l’aîné.
«Mauvaise nouvelle»
Il y a quelques mois, la mère de famille a reçu une lettre de son propriétaire : le deux-pièces est à vendre. Ils vont devoir partir à la fin de leur bail qui expire en février. Anissa n’avait pas attendu cette «mauvaise nouvelle» pour multiplier les démarches. Pendant de longs mois, elle a épluché des centaines d’annonces pour trouver le quatre-pièces dont aurait besoin sa famille. «Mais sur la côte, les loyers sont chers», souligne-t-elle. Pour un appartement familial, il faut compter au moins 1 000 euros et les propriétaires privés exigent des revenus trois fois supérieurs au loyer. C’est plus que les deux salaires du couple. Depuis 2013, elle a aussi déposé une demande de logement social. Mais l’office HLM leur a répondu dans une lettre qu’il n’est «pas en mesure de garantir une proposition dans l’immédiat […] au regard du peu de logements disponibles». Anissa saura le 13 février si sa demande de «droit au logement opposable» (Dalo, qui vise à accélérer les attributions de logements sociaux aux ménages les plus prioritaires) est acceptée ou rejetée. En attendant, les visites d’acheteurs s’enchaînent, et Anissan’entrevoit pas de perspective de relogement : «J’ai baissé les bras. Il n’y a pas de portes qui s’ouvrent devant moi.»
Au-dessus du canapé en cuir, Anissa et Mohamed ont accroché un poster de Brooklyn sous les étoiles : «C’est mon mari qui l’a acheté. Notre rêve est de partir un jour en voyage à New York», sourit-elle. Elle se tourne vers l’image où des lumières percent à travers les fenêtres des buildings. Là-bas aussi, il y a sans doute des familles vivant dans des logements trop petits. «C’est comme à Nice, reprend-elle. Je sais que je ne suis pas la seule dans cette situation. Beaucoup de Français vivent la même chose.»