dimanche 12 février 2017
Le Monde Eco et Entreprise
Le " logement abordable ", un défi pour l'Europe
Le Mondedimanche 12 février 2017
Le temps paraît loin où de savants économistes invités par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s'enthousiasmaient, à longueur de colloques, de la hausse des prix de l'immobilier et de son " effet richesse ", prétendument stimulant pour la consommation, la croissance et toute l'économie. La crise de 2008, déclenchée par la catastrophe des prêts immobiliers toxiques, a montré l'inanité de cette richesse et prouvé que, bien au contraire, le renchérissement des logements accélère l'accroissement des inégalités et s'avère contre-productif au plan économique.
L'OCDE commence d'ailleurs à mesurer l'ampleur des dégâts sociaux de cette inflation immobilière. L'institution a entrepris, avec des fonds de la Communauté européenne, de créer une base de données sur les questions de logement dans ses 35 pays membres. Celle-ci a été mise en ligne sur son site Internet mercredi 8 février. " Nous nous sommes focalisés sur la notion de “logement abordable”, c'est-à-dire accessible aux plus modestes et aux classes moyennes, un enjeu central dans la réduction des inégalités et de la pauvreté ",explique Alice Pittini, économiste pour l'OCDE.
Pour Laurent Ghekiere, qui représente, auprès de l'Union européenne, les organismes HLM français réunis au sein de l'Union sociale de l'habitat (USH), " il y a une vraie prise de conscience des Etats membres de l'Europe de la nécessité de développer le “logement abordable” ou social. Toutes leurs grandes métropoles subissent de très fortes pressions immobilières. En corollaire, les autres régions ou villes se vident, se désertifient, dans des mouvements parfois violents, surtout dans les pays de l'Est ".
Un premier indicateur est la part grandissante des dépenses consacrée par les foyers à leur logement (loyer ou crédit, charges…). Celles-ci représentaient 22,9 % du budget des ménages en 2013, contre 20,3 % treize ans plus tôt, à l'échelle de l'OCDE. Au Danemark, sur cette période, elles sont passées de 26 % à 30 %, un record au niveau européen. La France figure parmi les pays où ce niveau est le plus élevé, à 26,7 % en 2013 (contre 23,2 % en 2000). Des moyennes nationales qui cachent évidemment de fortes disparités locales." Coût excessif "
Autre constat : un nombre croissant d'habitants sacrifient plus de 40 % de leurs revenus au logement, atteignant donc un " coût excessif ", selon la norme internationale. Dans les pays de l'OCDE, 15 % des locataires et 10 % des propriétaires avec un prêt en cours sont dans cette situation. Les pays les plus touchés sont l'Espagne, la Grèce, l'Estonie et le Royaume-Uni. " La cherté du logement affecte d'abord les populations modestes - le premier quintile, soit les 20 % les plus pauvres - mais aussi les classes moyennes - troisième quintile, les 20 % aux revenus moyens - , analyse Mme Pittini. Ainsi, la moitié des locataires espagnols les plus modestes ont des charges de logement représentant plus de 47 % de leur revenu, mais c'est aussi le cas de 22 % des classes moyennes de ce pays. Au Royaume-Uni, ces taux sont, respectivement, de 42 % et 23 % ". La France se situe en milieu de ce tableau : 20 % des locataires des classes moyennes et 29,4 % des propriétaires subissent ce " coût excessif ".
Les économistes de l'OCDE analysent aussi les politiques publiques du logement, où chaque pays a mis en place un mélange compliqué d'outils (système fiscal, aides, incitations…), dont les données globales n'existent pas toujours.
Le Royaume-Uni et la France sont les pays les plus dépensiers en allocations logement versées aux occupants : elles représentent respectivement 1,41 % et 0,83 % de leur produit intérieur brut (PIB), soit des sommes considérables, parfois jugées inflationnistes. " La France dépense certes beaucoup (plus de 40 milliards d'euros), mais les taxes - taxes foncières, droits de mutation… - sur le logement rapportent 65 milliards d'euros, ce qui montre que l'aide au logement est rentable ", relativise Manuel Domergue, chargé du logement à la Fondation Abbé Pierre.Réguler les loyers
De plus en plus de pays se posent la question de réguler les loyers pour endiguer leur dérive, comme c'est le cas en Allemagne où la plupart des Länder les plafonnent, à Vienne en Autriche, à Amsterdam aux Pays-Bas, en Suède et, en France, à Paris et Lille.
Pour aider les ménages à devenir propriétaires, de nombreux pays de l'OCDE ont mis en place des systèmes de déduction fiscale des intérêts de l'emprunt. Les champions de cette discipline sont les Néerlandais, puisque les acquéreurs peuvent déduire de 38 % à 51 % des intérêts payés pendant toute la durée du prêt. Cette largesse fiscale coûte au Pays-Bas 2,1 % du PIB. " Ce type d'aide encourage l'accession à la propriété, qui ne concerne en général pas les ménages les plus modestes, et pousse parfois à l'endettement tout en ravivant les tensions sur les prix des logements ", estime Mme Pittini.
Le logement social est un puissant levier de l'action publique. Il représente 34 % du parc de résidences principales aux Pays-Bas, devant l'Autriche (26,2 %) et la France (18,7 %). Partout, à l'exception de la France et de l'Autriche, l'érosion du parc locatif social est à l'uvre. Le cas le plus spectaculaire étant la Grande-Bretagne qui en a compté 30 % en 1980, mais 17,6 % aujourd'hui.
Un parc trop important de logements sociaux déplaît à la Commission européenne, qui y voit une concurrence faussée. Elle a enjoint aux Pays-Bas de le réduire ou d'en réserver l'accès aux plus modestes, ce qui a été fait, avec un plafond de ressources de 33 000 euros par an. La Suède a refusé l'injonction bruxelloise et a ouvert son parc aux opérateurs privés, ce qui le fait disparaître des statistiques, pas de la réalité. L'Allemagne a, aussi, un parc locatif privé bon marché hérité du patrimoine des collectivités locales et des grands groupes industriels, mais celui-ci n'est pas recensé comme social. " Les bailleurs sociaux d'Europe ont du mal à faire admettre à la commission de la concurrence, à Bruxelles, qu'un parc social ouvert à une grande part de la population permet la mixité et n'est pas anti-concurrentiel ", confie M. Ghekiere.
Isabelle Rey-Lefebvre
De plus en plus de sans-abri
Un signe tangible et inquiétant du mal-logement est le nombre de sans-domicile qui, dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, ne cesse d'augmenter depuis la crise économique de 2008, même si les statistiques fiables manquent encore. Pour l'Europe, c'est en République tchèque qu'ils sont proportionnellement les plus nombreux : 68 500 personnes, soit 0,65 % de la population. Malgré son logement bon marché, l'Allemagne en compte 335 000 (0,42 % de la population), soit 15 % de plus qu'en 2000. En Suède, leur nombre a explosé entre 2000 et 2010, passant de 8 440 à 34 000 personnes (0,36 % des Suédois). La France en déplore 0,22 %, " mais ce chiffre, qui date de 2012, est sans doute sous-estimé ", note Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre, et il a augmenté de 64 % depuis 2000.